jeudi 24 juin 2021

Amorces

 

Gianni Berengo Gardin


Les éditions Fata Morgana poursuivent leur inestimable mise en lumière de l'œuvre de l'inclassable Henri Thomas. Ainsi le magnifique Amorces, illustré par Michel Danton, paru début juin, réunit une cinquantaine de textes tirés des carnets de l'auteur de La Nuit de Londres et livrés à la NRF entre 1982 et 1987. Nous avions lu certaines de ces entrées dans Le Migrateur, publié en 1983 par Gallimard;cet ouvrage étant désormais introuvable, pas de fine bouche ici, bien au contraire, nous y reviendrons et vous livrons dès aujourd'hui quelques extraits.

 

Pour cette dame du M.L.F., c'est l'homme qui a contraint l'espèce à la station érecte, parce que c'est celle qui dissimule le mieux le sexe féminin et exhibe le mieux le sexe masculin. Elle aurait préféré, dit-elle, avoir 54 pattes. Chapeau !

 

 ***

 

Il lui a dit gentiment : « Un Ricard, merci ma pute. » Elle a 14 ans, un corps et des yeux d'ange étonnés. 

 

 ***

 

(Sous la véranda)

— Tu sais, de nos jours, une femme qui n'est pas au moins nymphomane n'intéresse personne. 

— Ça on pourrait en discuter, on pourrait en discuter énormément.

 

***


J'ai quelques plantations de mots à l'étranger. Vous savez qu'elles poussent et fructifient surtout la nuit, en couches chaudes, par temps de neige ou de gelée, compostées d'inquiétude. Il faut être diligent à les relever et mettre les fruits en lieu sûr (éviter de les étaler en conversations). Se repiquent à loisir, manuellement ou à la machine. 

 

***

Suis-je le seul à jouer le jeu : le jeu de ne pas jouer, de ne pas tenir compte de l'ennemi qui dit :«Fais ceci, cela, si tu ne veux pas que je te jette à la rue, toi et ce que tu aimes » ?
Je ne peux pas leur dire que je suis vraiment un pauvre, un homme de hasard, de travail absurde, de conduite mal avisée
 ? Allons, je le dirai tout de même pour m'achever.

 

 

Henri Thomas, Amorces,
éd. Fata Morgana, 2021, 27 €

1 commentaire:

  1. C'est curieux, vous avez trouvé les rares phrases piquantes (voire acides) d'un auteur timide et qui avait presque un goût japonais pour le neutre et l'incolore.

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