Sergio Purtell |
Je me suis hier soir, quittant Calet, à regret, étourdi, entièrement remis, enfin, au Cavalier noir, long poème sous forme de roman du croquant discret Philippe Bordas, tant vanté par l'ami Hubertus.
Si j’ai quitté la cité d’enfance, les tours et les barres, les parois de ferro-béton entre quoi je dormais, c’est poussé par la soif que rien n’apaise, celle des mots pleins.
Cette route vers une langue entière, rêvée depuis le vide et immensifiée par lui, je l’ai prise, il y a bien longtemps, inconscient des périls, et le voyage ne finit pas. Maintenant qu’une moitié de monde s’écoule dans l’autre, que transvasent les hémisphères et les syllabes des voyageurs, le ruissellement des sans-patrie empêche d’attraper une phrase complète et je me perds dans la foule nouvelle.
Pourtant, plus loin, je n'étais guère surpris de me retrouver un temps étrangement du côté de chez Calet. Histoire certainement de ne pas me perdre corps et âme. Merci.
Ce matin, dans l’aurore d’eau sale, j’ai glissé le ticket, passé le portillon de la station Denfert, ce paillasson de mes retours et de mes départs. Que je revienne ou reparte, l’hôtel Floridor, avec sa marquise en ciment et son entrée bas de gamme caissonnée de néons, prélève sa rançon de tristesse. Après qu’il eut fui l’Allemagne d’Hitler, Walter Benjamin avait dormi là, sans argent, avant de fuir vers les Pyrénées, et y mourir, chargé d’une serviette pleine de manuscrits.
Philippe Bordas, Cavalier noir,
Gallimard, 2021
J’y passe souvent devant le Floridor. Il m’a toujours fasciné. Je ne connaissais pas cette anecdote concernant Benjamin
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup fréquenté le cinéma Le Denfert lorsque j'étais étudiant errant, sans connaître ce détail sur Benjamin, et sans même savoir, à cette époque, qui était Calet...
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