Fritz Henle |
— Tu sais, lorsque je suis arrivée devant le fameux magasin dont je t'avais demandé de me retrouver l'adresse, il y avait tellement de monde que j'ai fait demi-tour.
— Les gens avaient certainement peur que ça ferme au premier jour du confinement...— Je ne sais pas car, comme j'étais dans le quartier, je n'ai pas pu résister et suis passée chez l'antiquaire de la rue Ballu, que j'adore. Ça faisait tellement longtemps... Même si je ne pouvais rien acheter, je me suis dit que je n'aurai certainement pas l'occasion d'y retourner avant un bon moment.
— Tous les prétextes te sont bons, ma chérie...
— Toujours est-il que l'antiquaire m'a dit qu'elle resterait ouverte pendant le nouveau confinement.
— C'est un commerce essentiel ?
— Faut croire. Dans ces quartiers... Tu sais, ça a tellement changé : la rue Biot était pleine de gens, des jeunes qui buvaient des coups sur le trottoir, les bars étaient ouverts, sauf que les clients consommaient à l'extérieur...
— Un dernier verre tous ensemble avant le nouvel enfermement...
— Peut-être. Mais je pense surtout que dans certains quartiers, les contrôles de police sont, disons, plus souples... Bref, l'antiquaire m'a reconnue. C'est bien vous qui habitez Montreuil ? J'ai été obligée de lui dire que désormais je vivrai plus loin...
— Il n'y a aucune honte à cela, n'est-ce pas ?
— Je lui ai tout raconté : la vente de la maison, l'impossibilité de se reloger à Montreuil, l'attente interminable...
— ...La pauvre...
— En substance, rassure-toi. Dans la boutique, il y avait une comédienne, dont je ne me souviens pas le nom. Enfin, un visage qui ne m'était pas inconnu, malgré le masque, une comédienne, qui écrit aussi je crois. Ah, ça m'énerve de ne pas retrouver son nom...
— La grande Florence Foresti ? Amanda Sthers ?
— Mais non !... Peu importe. En tous cas, lorsque j'ai montré à l'antiquaire une photo du carrelage que nous venons d'acheter...
— ...Quel besoin avais-tu de montrer le carrelage que l'on va mettre dans nos toilettes, et acheté chez Leroy Merlin ?!
— Parce qu'il est beau et que j'ai vu chez l'antiquaire un objet, que je n'ai pas acheté, je te rassure, qui se marierait parfaitement avec ces couleurs...
— Je n'aime pas tes Je te rassure, j'ai l'impression d'écouter un membre de la grotesque bande de truands amateurs qui nous gouverne...
— Les chiffres ne sont pas bons...
— Tu sais bien, les chiffres restent des chiffres et lorsque ne pense qu'à partir des chiffres, on est mal barré...
— Toujours est-il que cette femme, la comédienne, s'est intéressé à notre carrelage, et n'en revenait pas qu'on l'ait trouvé à Leroy Merlin...
— Tu lui as dit que c'était ton chéri qui l'avait dégoté parmi toutes les immondices vendues dans ce magasin ?
— Tu as une photo d'Anna Gavalda ?!
— Qu'est-ce qui te prend ?
— Dans ton ordinateur !
— Que veux-tu que je fasse avec une photo d'Anna Gavalda dans mon ordinateur ?
— Sur internet ! Je suis sûre maintenant que c'était elle !
— Comment ça, elle ? ! La comédienne ?
— Oui, enfin... Cherche... Je t'ai dit que je connaissais ce visage, que c'était une comédienne ou quelqu'un qui écrivait. Oui, c'est elle !!!
— Mon dieu...
— Quelle andouille... Anna Gavalda... Incroyable !
— Il n'y a rien d'incroyable, ma chérie. Il arrive souvent, lorsqu'on est à Paris, de croiser...
— ...Ce qui est incroyable, c'est qu'elle semblait avoir peur de dépenser de l'argent quand elle est certainement millionnaire...
— Comme tu le sais, ma chérie, ce sont souvent les personnes ayant de l'argent qui...
— ...Il y avait un ensemble composé d'un mini-arrosoir, un mini-tamis, un mini-seau, en fer blanc, des jouets d'enfant, comme avant... Elle a demandé le prix et lorsque l'antiquaire lui a dit 30 euros, elle a semblée rassurée et les a fait mettre de côté.
— Elle a des enfants peut-être...
— C'est ce que lui a demandé l'antiquaire. A quoi, Anna Gavalda a répondu qu'il leur sera formellement interdit d'y toucher.
— Bravo...
— C'est dingue. Dire que lorsqu'on a évoqué ce nouveau confinement, elle a lâché qu'elle ne comprenait pas pourquoi les Français ne se révoltaient pas.
— Anna Gavalda a dit ça ? En effet, c'est dingue...
— Peu de temps après mon arrivée dans la boutique, l'antiquaire s'est excusée auprès d'elle parce que nous discutions toutes les deux, heureuses de nous revoir. Si vous avez besoin de quelque chose, connaître un prix, n'hésitez pas. A quoi Anna Gavalda a répondu Ne vous en faites pas, je suis sage comme une image.
— Une belle révolutionnaire de papier glacé, sage comme une image. Elle écrit toujours dans Elle ?
— Tu te moques, mais j'ai lu certains de ses livres, moi...
— Je n'en doute pas. Je ne la connais pas. Jusqu'à ce soir, je ne savais même pas à quoi elle ressemblait, et effectivement, je ne l'ai jamais lue...
— Je te concède qu'elle peut être énervante. J'ai demandé le prix d'un tableau, une peinture de fleurs quelconque. L'antiquaire me dit que, pour moi, elle le fait à moitié prix : 100 euros. Et là, Anna Gavalda me dit Ah oui, je l'avais remarqué, moi aussi...
— Elle n'a pas supporté que tu t'intéresses à quelque chose qu'elle avait négligé...
— Je suis persuadée que dès que je suis partie, elle s'est empressée d'acheter ce tableau. En fait, et c'est ce qui m'énerve le plus, si elle le voulait, elle pouvait acheter toute la boutique...
— Tu vois, ma chérie, dans un sens, c'est bien que nous n'ayons pas un rond. Tu n'aurais pas su quoi acheter...
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