Lui comme moi étions convaincus de l'inutilité de ce rendez-vous. Je ne sais pourquoi il m'avait proposé qu'on se voie et pas plus pourquoi j'avais accepté. Je crois qu'il m'avait convoqué pour me manifester un minimum de sympathie et j'étais venu pour ne pas paraître insensible à la situation ou impoli. Il était gêné de m'apprendre que mes deux derniers livres s'étaient peu vendus et moi tout autant de l'avoir déçu. C'était désagréable pour nous deux alors j'ai essayé de dédramatiser la situation en lui expliquant combien j'étais heureux d'être dans sa maison, que deux mille cinq cents ventes me satisfaisaient et que surtout, je ne voulais pas être un souci pour lui. Il était un des éditeurs les plus connus et réputés de France, et j'étais déjà bien heureux qu'il ait publié deux de mes livres. Il avait redressé les comptes de la maison de façon spectaculaire depuis deux ans. C'était un homme de réseau qui connaissait tout Paris, il partait en vacances avec Beigbeder, dînait avec Ruquier et prenait des cuites avec Houellebecq. Depuis qu'il dirigeait la maison, il raflait un grand prix à chaque rentrée, l'homme le mieux placé de la profession donc, et c'était lui qui m'avait proposé de me publier. Une main tendue qui ne se refuse pas. Mais ce matin-là, il n'était pas dans son assiette, il se levait, faisait quelques pas, remontait son pantalon, se rasseyait, se passait la main sur le crâne tout en parlant du mystère d'un succès littéraire. Je sentais qu'il cherchait une explication à cette indifférence de la presse et des lecteurs à l'égard de mes livres, il me disait qu'il avait tout essayé mais que ça n'avait pas accroché, qu'il n'avait pas réussi à convaincre. Au bout de dix minutes, à force de circonvolutions, de mots pour un autre, de phrases en biais et de regards fuyants, son discours est devenu très clair et j'ai compris qu'il serait vain, à l'avenir, de lui proposer un manuscrit. Il me lâchait. Et puis, sur le pas de la porte, tout en me serrant la main, il eut cette phrase : « Ce n'est pas lié à votre talent, mais votre problème voyez-vous, c'est que vous ne connaissez personne et que personne ne vous connaît. »
David Thomas, Un homme à sa fenêtre,
éd. Anne Carrière, 2019
Les éditeurs sont des entrepreneurs qui fournissent des épiciers-libraires. Ils y mettent un peu plus les formes mais ils te virent si tu n'es pas assez rentable.
RépondreSupprimerIl y a des excpetions cher Luc, mais il est vrai que, comme disait Cocteau "Un éditeur qui entre dans son bureau préfère y trouver un cambrioleur qu'un poète."
RépondreSupprimerAbrazo