vendredi 13 octobre 2017

S'ouvrir le ventre



Faire l'amour à la fille qu'on aime, j'avais oublié, mon dieu, que c'était le seul signe que Dieu, parfois, adresse aux hommes du plus haut de ses cieux. J'ai déjà vu des fidèles, à l'église, gober quelque hostie de série. Je n'ai pas vu leur visage s'illuminer pour autant. Ils regagnaient leur place en trottinant, comme si rien en eux ne s'était produit du miracle tant vanté. La neutralité de leurs traits ne convainc pas l'incroyant.
Faire l'amour à la fille qu'on aime, c'est un sous-bois l'été, la barrette d'étain qu'un torrent accroche à pic à la montagne, les coucous de Sénart et de Mortefontaine, les senteurs du verger, c'est Dieu dans toute sa puissance, toute sa rareté. Le visage de Karen à cet instant-là était celui de Dieu. Ce n'est pas blasphémer. C'est plutôt honorer le Seigneur que de lui prêter ce visage. Je suis heureux et même bienheureux de l'avoir entr'aperçu.
Donne-moi, Skønhed, l'hostie vivante de ta langue. Je crois en toi, en un seul Dieu, qui est toi. Je t'aime. S'il existe un paradis, s'il m'est promis, ce sera avec toi, toi seule, ou rien. Avec tes yeux qui tournent. Avec ton ventre dur. Avec ton cul, mon amour.


René Fallet, L'Amour baroque, 1971


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