jeudi 19 janvier 2017

Socrate au comptoir



- Oui, je préfère quand tu parles de foot, de ton père, de ton enfance…
- C'est plus facile…
- Vraiment ?
- Non. Tout est compliqué en fait.
- Un peu moins quand tu mets juste une citation. Et ça te permet de te la jouer…
- Tu crois ? Quand je mets une citation, c'est une phrase, un passage sur lequel je viens de tomber. Le blogue me sert de carnet, de pense-bête. Je n'écris pas ailleurs, n'ai pas de téléphone intelligent sur lequel prendre des notes…
- L'autre jour, tu as fait fort : tu citais un auteur espagnol dont j'ai oublié le nom et dont le texte est lui-même une citation d'un autre auteur.
- D'un autre auteur espagnol…
- Non, non. Un philosophe, un ami de Cioran, je crois…
- C'est bien ce que je disais : Clément Rosset.
- Il est espagnol, Rosset ?
- Il me semble qu'il a des origines catalanes. C'est un Catalan de Normandie…
- Bref, on s'en fout.
- L'auteur cité, c'était Bergamín.
- Peut-être…
- Tiens, justement…
- Tu mets un livre dans ta poche même quand tu sors boire un verre ?
- C'est parce que j'ai pris le métro. Par ce temps, les routes sont glissantes et si je peux éviter les hostos encore un petit moment…
- Le Choix des mots ?
- C'est là-dedans que se trouve cette citation de Bergamín, que je n'ai jamais lu.
- Tu vois ? C'est un peu de la frime, tes citations…
- Ça peut être vu comme ça, sûrement. Mais je t'ai expliqué, ce sont des notes, pour garder une trace. Même si je ne relis jamais les billets… Et écrire, que ce soit les mots des autres, ou ceux que je peux pondre, c'est tenter de clarifier les choses, essayer de mieux penser. C'est ça qui peut paraître prétentieux : penser qu'on peut mieux penser.
- Je ne suis pas sûr de suivre.
- J'imagine. Bon, mais on ne se voit pas pour que tu fasses le procès de mon blogue, si ?
- Et ça parle de quoi, ce bouquin ?
- D'écrire.
- Ah…
- J'ai l'impression de ne pas tout comprendre.
- A mes Ah ?
- A Rosset. A ce que je lis en général.
- Ben, mon vieux…
- Je crois qu'avant, quand j'ai commencé à lire, vers 20 ans, c'était plus facile. Qu'avec l'âge, ça s'est gâté. Il m'a toujours manqué des références. Je pioche à droite à gauche, j'ai fait ça toute ma vie, mais il n'y a rien de bien solide, de construit. Plus ça va, plus je vois les failles…
- Au fond, tu resteras toujours un petit autodidacte…
- Ou alors, c'est l'époque.
- C'est l'époque qui fait que tu resteras toujours un autodidacte ?
- Non, l'époque qui nous distrait. J'ai de plus en plus de mal à me concentrer, je lis trop vite…
- Encore ton discours sur les écrans…
- …J'essaie de comprendre. Tu vois, quand je me promène sur la toile, je m'aperçois que je passe peu de temps sur des textes longs, je zappe, je survole… Ça doit avoir une influence sur ta manière de lire un bouquin ensuite…
- Je ne sais pas. Moi, je ne lis pas.
- Et encore, je n'ai pas de smartphone qui m'alerte en permanence sur ce qui se passe dans le monde, qui baise qui, Valls qui se prend une gifle, Fillon qui est constipé, Le Pen perdue dans la Trump Tower ou que pensez-vous du nouveau dealer de Macron ?
- Ou Attention, en hiver, il faid froid.
- Exact. T'as pas l'impression qu'on nous distrait avec des conneries ?
- Valls giflé, c'est pas mal, non ?
- Ce qui est terrible, c'est que le baffeur est un type infréquentable. Et que Valls, dès lors, se pose là, en défenseur des valeurs républicaines. Cette crapule qui ose ensuite dire que toute forme de violence est inacceptable… Mais pas un journaliste pour lui ressortir les images du tabassage des gamins, des mois durant, par sa police…
- Je l'ai écouté l'autre matin à la radio…
- …Non, ne m'en dis pas plus. Je ne peux plus écouter ces voyous, en parler… On parlait de livres… La dernière ?
- Tu sais, moi, les livres…
- Peut-être, ce qui me fait lire plus vite qu'avant, c'est cette peur de ne pouvoir tout lire… 
- C'est un drôle de paradoxe.
- Nous ne sommes au fond qu'une accumulation de paradoxes…
- Ouh la ! Sinon, tu crois que Messi va prolonger son contrat ?
- Si tu savais comme ça me préoccupe…
- Bon, ben vas-y, parle-nous de livres…
- Non, je reviens sur la vanité. En citant Rosset. Qui lui-même cite Diogène. 
- Aïe… On en reprend une ?
- Oui, mais écoute. A un type qui lui reproche d'écrire, Rosset dit : …il n'y aurait que vanité dans ce souci de discrétion et par conséquent indiscrétion même. Permettez-moi d'invoquer une dernière fois, pour illustrer cette remarque, une anecdote rapportée par Diogène Laërce à propos d'Antisthène : « Un jour où il montrait aux passants les trous de son manteau, Socrate qui l'aperçut lui aussi dit : "Je vois ta vanité à travers ton manteau" »
- Socrate, Diogène, qui encore ?, Antisthène ?, je ne sais même pas qui c'est…
- Un disciple de Socrate, qui rejetait la logique et la physique et ne jurait que par l'éthique. Tout en se moquant des conventions sociales… C'était le maître de Diogène.
- Tu l'as appris en lisant Rosset ?
- Non, j'avais déjà croisé son nom, mais je me suis raffraîchi la mémoire en fouillant un peu sur la toile… Et c'est ce que
les livres ont de fantastique : un auteur te renvoie à un autre, qui en cite un troisième…
- Oui, mais après, tu veux tout lire et tu lis trop vite ! Et c'est comme si tu ne lisais pas…
- Tu as raison. Mieux vaut rester devant son écran à balancer des like, faire des captures d'écran, des selfies en soutif, partager des vidéos de chatons qui se cassent la gueule, ou croire au socialisme… Donc, Messi n'a pas encore prolongé son contrat ?

3 commentaires:

  1. Donc aucune vanité chez Messi?
    Couvrez vous bien, il fait si froid.

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    1. Il faudrait cher Luc trouver un mot plus juste pour les footballeurs… Mais je crois que Messi n'est pas le pire…

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  2. Cette phrase de Rosset ("...il n'y aurait que vanité dans ce souci de discrétion et par conséquent indiscrétion même") peut être aussi illustré par ce qu'écrivait Stendhal un 31 décembre 1804: "Je pourrais faire un ouvrage qui ne plairait qu'à moi et qui serait reconnu beau en 2000."

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