- Je suis bien allée déjeuner chez ta mère ou chez ta sœur…
- Ça n'a rien à voir.
- C'est mon père !
- C'est surtout un crétin.
- Peut-être, mais c'est mon père.
- Quand on va dans ma famille, et on y va peu, tu peux être certaine de ne pas être jugée sur ta tenue, la marque de tes chaussures, ton compte en banque, ta baraque ou ta bagnole… A la rigueur, ma mère trouvera bizarre une fille qui ne sait pas coudre, mais elle se gardera bien de te le faire remarquer…
- Allez, viens…
- Je suis certain que si ta fille n'avait pas été en vacances, tu ne me proposerais pas d'assister, de t'assister, à cette soirée au resto…
- Peut-être…
- Tu vois ?
- La question ne se pose pas puisqu'elle sera en vacances.
- Toi, tu ne la poses pas, moi oui.
- Si tu veux…
- Merci.
- Et si on l'invitais à dîner ici ?
- Ah non, merci !
- Pourquoi ?
- Invite-le si tu veux, mais je ne serai pas là.
- Pourquoi ?!
- Parce que je n'ai pas envie de dîner avec ton père. Ni au resto, ni ici. C'est comme si tu me proposais de dîner avec Donald Trump…
- Mais tu ne le connais pas !
- Trump ?
- Andouille !
- Ce que j'en connais par ta mère, tes sœurs, ton frère et surtout par toi, ne me pousse pas à vouloir le rencontrer… Il sait que l'on vit ensemble, non ?
- Justement !
- Relis le texto : c'est ta fille et toi qu'il invite au resto, pas moi.
- Qu'est-ce que je réponds, alors ?
- Qu'est-ce que tu dois te demander, plutôt…
- Fais pas le malin…
- Je ne plaisante pas. La question que tu dois te poser, il me semble, est : ai-je envie de passer une soirée au resto avec mon père ?
- Ça m'angoisse.
- Et tu voudrais que je te serve de bouclier ?
- C'est vrai que si ma fille avait été là…
- Tu vois ?
- Je ne me vois pas aller au resto seule avec lui.
- Ben voilà… Dis-lui que tu seras malade à cette date-là, que t'es désolée, ça tombe mal…
- …C'est pour ça que je pensais l'inviter à dîner ici.
- Tel que je peux l'imaginer, il ne va pas cesser de tout critiquer. La connerie qu'on a faite en achetant cette maison humide, de n'avoir pas encore écrasé ces escrocs de vendeurs…
- …C'est le genre, oui.
- Et tu as envie de vivre ça ?
- Il faut que j'assume cette maison, cette vie…
- Ça fait deux ans que tes amis des Batignolles demandent à venir dîner ici et que tu bottes en touche. Et soudain, tu vas assumer auprès de ton père ?
- Oh, je ne sais pas…
- Sincèrement, je ne tiens pas à passer une soirée avec lui, qu'il me demande ce que je fais dans la vie, combien je gagne, si je suis supporter du PSG, l'entendre parler politique… Le seul gendre qu'il accepte, c'est le futur mari de ta sœur parce que c'est l'héritier d'une grosse fortune, point barre. Moi, je ne suis rien - et tiens à le rester.
- Il t'a déjà catalogué cet été. Ma mère lui a dit dans quel journal tu écrivais et il n'a eu que des paroles de mépris. Un ramassis de gauchistes rêveurs, un truc comme ça… Je n'y ai pas assisté, c'est elle qui me l'a rapporté…
- Quel besoin avait ta mère de parler de moi ?
- Elle lui donnait des nouvelles des enfants. Puisqu'il s'est mis tout le monde à dos… Ça faisait des années qu'ils ne s'étaient pas revus…
- Après tout ce qu'il fait subir à ta mère depuis 6 ou 7 ans, tu voudrais que je l'accueille ici ? Que je lui serre la main avec le sourire, que je boive des coups avec lui, que je t'aide à préparer le repas, que je lui souhaite un bon appétit ? Sans parler du stress qui serait le tien dès l'instant où tu aurais pris la décision de le faire venir ici…
- Tu n'aimes pas les gens, tu ne t'intéresses à personne…
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Regarde ton blogue. Tu passes ton temps à dénigrer les autres, le cinéma français, les socialistes, les gens célèbres…
- …Parce qu'il faudrait les aimer ?
- En dehors de Cioran, Thomas Bernhard, Frédéric Schiffter ou Louis Watt-Owen, personne n'est digne d'intérêt pour toi.
- N'exagérons rien.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je cherche une phrase.
- Encore Cioran ?
- Raté. Thomas Bernhard !
- Tu vois ? Quand c'est pas l'un, c'est l'autre !
- Ce cher L. W-O. l'avait cité sur son blogue…
- Tu me l'as certainement déjà lue…
- On ne lit bien que lorsqu'on relit. Ah ! La voilà : La plupart des gens ne nous intéressent pas vraiment, ai-je tout le temps pensé, presque tous ceux que nous rencontrons ne nous intéressent pas, ils n'ont rien d'autre à nous offrir que leur misère de masse, leur bêtise de masse, et ils nous ennuient pour cette raison et nous n'avons naturellement strictement rien à voir avec eux.
- C'est vrai.
- Tu vois ?
- Tiens, pendant que tu as ton ordinateur sous la main, montre-moi le mail dont tu me parlais…
- Oh, ça n'a aucun intérêt.
- Montre.
- Je pensais leur répondre, mais ce serait du temps perdu…
- Tu ne veux pas améliorer ta position dans les moteurs de recherche ? Ça m'étonne de toi…
- Je ne veux surtout pas échanger avec eux, comme ils disent. Quel terme monstrueux c'est devenu…
- Quoi donc ?
- Echanger.
- Ils te proposent d'écrire un article sur leur site.
- Jamais je ne ferai ça. Ce qui me fait rire tout de même, c'est qu'ils proposent, si je suis en manque d'idée, de faire eux-mêmes mon article…
- Du moment que tu accueilles un article d'eux et que tu mets un lien vers leur site sur ton blogue…
- Un truc comme ça, oui. Je pense que leurs outils de propagande sont déficients. Ce blogue n'intéresse qu'une poignée d'égarés. Des gens qui ont repéré un truc bizarre, foutraque, qui déverse sans cesse des textes, des photos, des vidéos absurdes, sans queue ni tête, et ils sont venus voir… Certains pensant s'y consoler s'y sont noyés…
- N'exagérons rien, comme tu dis.
- En tous cas, il n'y aucun intérêt, pour une boîte comme celle-là, à être "référencée" ici. Ils n'ont rien compris ! C'est impossible qu'ils me fassent ce genre de proposition s'ils ont jamais lu une seule ligne de ce que l'on trouve sur le blogue.
- Ils ne s'adressent très certainement qu'à des blogues ou des sites qui ont un certain trafic. Et se foutent du contenu.
- Et moi, je me fous totalement du trafic. De plus, les chiffres sont complètement faussés par les robots, les spams et toutes ces saloperies. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris de créer ce blogue, et sur Gougueule, en plus…
- Promis, si tu viens dîner avec moi et mon père, je ne lui parle pas de ton blogue…
- Remarque, ça lui ferait peut-être du bien de lire des textes d'Ourednik ou de Rosset…
- Moi, ce qui me ferait du bien, c'est que tu viennes…
- A condition que je lui lise du Perros à l'apéro, quelques pensées de Cioran après l'entrée, du Schiffter avant le dessert et du Bukowski à l'heure du digestif… et que je raconte cette soirée sur le blogue… Ça, ce serait une invitation qui aurait de la classe !
- Je vais peut-être demander à ma fille de changer les dates de ses vacances…
jeudi 26 janvier 2017
Une invitation
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