jeudi 6 août 2020

Dois-je continuer ?

Remie Lohse


Tiré du lit par la moiteur ambiante, encore hagard, j'ouvre l'écran et, histoire de feindre un lien indéfectible avec le réel, survole quelques sites d'info, délaissés depuis des semaines. Mais rapidement, je sens qu'il va m'être difficile de m'extraire de l'univers de Manchette dans lequel je suis plongé ces derniers temps. Car c'est à Clamart, ville dans laquelle l'auteur de Nada a passé ses années de vaches maigres enragé, que je marque un premier arrêt.
La ville des Hauts-de-Seine sera en effet à la rentrée la douzième commune d'Ile-de-France à équiper ses policiers de caméras-piéton, afin de « rétablir la confiance entre la population et la police », selon le vœu émis le 14 juillet dernier par notre bon président. Chaque policier municipal en vadrouille sera équipé d'un petit boîtier individuel à l'utilisation aussi simple que celle d'un bon vieux camescope des familles. Ce souci de transparence, on l'a bien compris, est destiné à démontrer aux fâcheux que les violences policières n'existent pas. Prévu par le code de la sécurité intérieure et un décret du 27 février 2019, ce dispositif doit cependant être encadré par un protocole précis d'intervention que la ville se chargera de définir. Histoire de protéger les données, bien entendu. Il n'est pas question de divulguer les images filmées par les agents au premier venu. Une seule personne y aura droit. Sans plus de précision pour le moment. On y travaille.
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Rien à voir. Un homme qui venait de fêter ses 61 ans la veille a été interpelé lundi dernier au BHV du Marais, à Paris. Les étranges agissements de ce retraité ont attiré l'attention d'un vigile de la boutique. L'homme déambulait depuis un moment, s'attardant régulièrement devant des femmes. Les chaussures de cet ancien commissaire général de police étaient équipées de caméras lui permettant de filmer sous les jupes de la clientèle féminine. L'ancien directeur territorial adjoint de la sécurité de proximité du Val-de-Marne (DTSP 94) a été placé en garde à vue, accusé d'avoir « utilisé un moyen pour apercevoir à son insu et sans son consentement les parties intimes d'une personne ». Ce passionné d'informatique, surnommé Cyberflic lorsqu'il dirigeait dans les années 1990 le service parisien d'enquêtes sur les fraudes aux technologies de l'information, médaillé d'honneur de la police nationale, chevalier de l'ordre national du mérite, sera jugé début janvier.
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Autre procès, celui, médiatique pour le moment, intenté à ce pauvre Gérard Darmanin. On connaît plus ou moins l'histoire : l'ancien chargé de mission de feu l'UMP est accusé de viol par une femme qui avait sollicité son intervention dans une sombre histoire de chantage. Présentée comme ancienne escort-girl ou sympathisante UMP, c'est selon, la victime présumée se bat depuis des années pour avoir gain de cause. La nomination de Darmanin au poste de ministre de l'Intérieur le mois dernier a suscité, comme on le sait, une levée de boucliers, comme on dit, de la part des féministes, et un appel à la démission. Emmanuel Macron a tenté de calmer les esprits en affirmant, les yeux dans le prompteur, avoir eu une discussion avec son nouveau ministre « sur la réalité de ces faits et leur suite, parce que c'est un responsable politique intelligent, engagé, qui a aussi été blessé par ces attaques », et ainsi de suite. Aujourd'hui, c'est au tour de l'intéressé, si j'ose dire, de faire son numéro de com'. Dans un entretien accordé au journal de François Pinault, Le Point, Darmanin nous livre le fond de l'affaire : « La victime dans cette histoire, c'est moi. C'est moi dont on salit le nom. C'est à moi qu'on prête des comportements que je n'ai jamais eus ». Affirmant qu'il se tient à la disposition de la justice – qui sait où le trouver –, il reconnaît que « c'est difficile à vivre. Mais je n'ai pas le droit de me plaindre », avant d'embrayer sur les violences policières qu'il récuse tout autant que son prédécesseur et que leur patron.
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Cinéma toujours, avec la crise que traversent les salles en raison de la pandémie, du confinement, du déconfinement pas très fin, de la trouille généralisée et de la perspective annoncée d'une nouvelle vague. Sans oublier ces cons de gros distributeurs qui repoussent sans cesse la sortie des blockbusters hollywoodiens sur lesquels comptaient les exploitants pour sortir de la crise leurs petites entreprises. Le sénat a, en mai dernier, estimé le manque à gagner des boutiques entre 113 et 121 millions d’euros. Et les quelques films porteurs sur lesquels la profession comptait pour relancer le tiroir-caisse ont fait long feu. La Bonne Epouse, sortie peu avant l'enfermement a été repoussé sur le chemin des salles (plus de mille écrans) en vain, malgré la Binoche. Idem pour la comédie made in Gaumont, Tout simplement noir, qui n'a pas su profiter du mouvement Black lives matter pour surfer sur la vague du succès.



Quant aux Blagues de Toto, elles semblent plus qu'éculées. Même débandade dans le cinéma d'auteur avec le flop du dernier film (on l'espère) de François Ozon, Eté 85. Le confinement, comme on le sait, a fait le bonheur des Gafam et des plateformes numériques offrant des flux de séries et autres images en mouvement. Les plus malins (UGC, Gaumont…) ont vendu leurs produits qui à Netflix, qui à Amazon, sans même penser à sauver les apparences. D'autres espèrent des jours meilleurs sans vraiment trop y croire et réclament l'aide de l'Etat. Enfin, certains ont déjà baissé le rideau. La convergence des médias, comme on disait à une époque, est plus que jamais une réalité (virtuelle, comme tout le reste).

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- Quelque chose ne va pas ?
Epaulard se mit à rigoler soudain.
- C'est le voisinage des jeunes filles qui me trouble. 
- Je ne suis pas une jeune fille, je suis une putain, dit Cash.
- Exagère pas, Cash ! dit le Catalan.
- Je suis une femme entretenue, dit Cash. Cette maison, par exemple. Bénissez le micheton qui me l'a prêtée pendant qu'il passe l'hiver aux Etats-Unis à se perfectionner dans les techniques du marketting et du racket, du racketting et du market. Poil à la braguette.
- Et elle s'est même pas laissé sauter, rigola Buenaventura.
- Si, dit Cash.
- Tu m'avais caché ça.
- Oui, dit Cash. Mais il ne faudrait tout de même pas croire que je suis inaccessible, précisa-t-elle, en regardant très froidement Epaulard.
Le quinquagénaire ne savait que penser. Son esprit choisit la facilité et il se dit que cette fille est une salope, il la tringlera quand il voudra, où il voudra, sur un tas de foin. Il vida son verre, baissa les yeux sur le bois de la table. 
- On peut savoir pourquoi vous marchez dans une combine comme celle dont il est question ?
Cash eut une moue ironique.
- Je suis pour l'harmonie universelle, dit-elle, et pour la fin du pitoyable Etat civilisé. Sous mon apparence froide et apprêtée se cachent et bouillonnent les flammes de la haine la plus brûlante à l'égard du capitalisme bureaucratique qu'a le con en forme d'urne et la gueule en forme de bite. Dois-je continuer ?
Epaulard la regardait, l'œil rond.
- T'esquinte pas, camarade, dit Buenaventura. C'est la grande incompréhensible, cette morue.
JP Manchette, Nada, 1972

8 commentaires:

  1. "nomination" ne prend qu'un seul "m". Cette remarque n'est pas destinée à vous embêter, c'est juste que cela m'empêche de lire le reste du texte. Disons que c'est très perturbant pour moi.

    Merci de votre compréhension

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    1. Merci, je corrige, désolé de vous avoir perturbé. J'ai eu peur que vous fassiez la remarque sur marketting…

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  2. -Une fois de plus, les correcteurs n'ont rien à dire mais tiennent à le faire savoir, en affichant leur mépris, "en passant", d'un air léger qui les rend lourds.
    - Si j'ai bien compris votre message caché; les clientes du BHV du Marais ne portent pas de culottes. Merci pour le tuyau, au Bon Marché non plus, contrairement "à chez" Franprix, mais c'est préférable, surtout au rayon des surgelés.
    - Ozon mérite notre respect, il nous a fait découvrir Marine Vacth dans l'excellent film "Jeune et Jolie". Je l'ai aperçue au BHV (bordel de l'Hôtel de ville).
    - En passant: "Marquéting" s'écrit avec un seul "t"

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    1. Bonjour Alfred, je ne cache aucun message ni ne révèle quoi que ce soit. Culotte ou pas (par cette canicule, ça se comprend), ce sont là des agissements à réprouver haut et fort.
      Ozon bénéficie de tout votre respect, et de celui de bien d'autres, il n'a pas besoin du mien...
      Quant à marketing, j'ai respecté la graphie du roman (dans l'édition bon marché carré noir), plein de jolies petites coquilles...
      Sur ce, je fous le camp pour un temps !

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    2. Partez sans crainte rejoindre le troupeau (au moins dans les gares ou sur les routes),je garde la baraque.

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    3. Raté, cher Alfred, cela fait des années que je ne pars pas l'été. Je suis du troupeau de ceux qui restent bosser. Comme vous êtes de celui des commentateurs anonymes et envahissants – pour rester poli. Un conseil : faites votre propre blog ou site ou journal ou livre ou film et déversez-y vos savantes et judicieuses remarques à la con, vous créerez ainsi un troupeau d'aveugles fidèles sur qui vous régnerez gonflé de votre fatuité. Bonjour chez vous.

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  3. Qui aime bien, châtie bien. Je ne me prend pas assez au sérieux pour ouvrir un blog, qui s'il avait un public, ne le devrait qu'à un malentendu, vu ma vision des choses. Je préfère papillonner au hasard et croiser quelques rares sites de bonne tenue comme le vôtre, auquel il est vrai, j'ajoute parfois quelques remarques à la con, que vous avez bien voulu éditer, je vous en remercie.

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    1. Instaurer ici un dialogue avec un anonyme, qui tournera forcément au vinaigre, ne m'intéresse pas, comprenez bien, je ne publierai donc plus aucune de vos remarques. Bon vent.

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