mercredi 9 février 2022

Toute existence

 

Jamais encore la puissance de l’argent n’avait pénétré si loin dans les profondeurs de l’être, au risque de provoquer un équivalent psychique de l’irréversible évolution, dont l’anthropocène rend compte concernant la nature de notre planète. 
Nous ne nous en apercevons pas, pourtant des milliers d’horizons disparaissent en silence, à mesure que s’affirme cette remarquable coïncidence de la dynamique du capital avec celle des algorithmes. Car il s’agit d’une lutte sans merci contre tout ce qui pourrait s’y opposer. Et là n’est pas le moindre effet de cette révolution numérique, traitant données et flux en fonction de modèles mathématiques qui éliminent les singularités comme les irrégularités, jusqu’à effacer des pans entiers de ce que nous sommes, faute de conformité à l’ordre des algorithmes. Rien n’échappe à cette mutilation par formatage. Mutilation aussi insidieuse que silencieuse qui travaille constamment à nous intégrer à un univers exclusivement commandé par l’impératif du mesurable. 
Car là où règne le nombre, toutes les qualités deviennent équivalentes, à commencer par la polarité qui n’y fait plus sens, non sans court-circuiter tous les contraires. Le monde d’Internet repose sur ce principe de non-contradiction qui nous accoutume au lisse de l’image immatérielle, jusqu’à nous faire oublier l’espace et ses profondeurs. Comme si de rien n’était, nous assistons à cette dématérialisation se confondant avec une neutralisation intensive qui ne semble prospérer que de s’assujettir toute existence.

 

Annie Le Brun, Juri Armanda, Ceci tuera cela,
Stock, 2021

 

2 commentaires:

  1. Le livre, écrit à quatre mains, est dense et il faut parfois s'accrocher pour suivre le fil du raisonnement d'Annie Le Brun. Mais enfin, cela en vaut la peine, comme le prouve le passage que vous avez bien voulu nous livrer là, cher Inconsolable. Merci.

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    1. Oui, s'il faut s'accrocher, le texte n'en est pas moins stimulant. Tout comme l'était "Ce qui n'a pas de prix". Merci également de rappeler qu'il est écrit à quatre mains, j'avais oublié de le mentionner… Bonnes promenades, cher ami.

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