mercredi 16 février 2022

Pas de dialogue avec les cons

 

Gilles D'Elia

 

Le premier souvenir que j’ai d’une déclaration politique de mon père remonte à un reportage télévisé sur John Lennon, en 1971. Le cofondateur des Beatles y était interrogé sur sa chanson Working Class Hero. Le repas finissait. Mon père venait de rentrer ; il était de quatre heures midi, comme on disait alors pour signifier qu’il embauchait cette semaine-là sept jours de suite à quatre heures du matin. Prenant le risque, ou cessant d’y faire attention sous le coup de la colère, de s’attirer une remontrance de ma mère qui détestait l’entendre parler à la maison comme à l’usine, il laissa soudain filer entre ses dents, face à l’écran : « Pauvre con.» 

En appuyant, pour une fois, sur le e muet de la deuxième syllabe. 

C’était donc aussi mon premier contact, très indirect, avec les idées de Guy Debord, puisque les «héros de la classe ouvrière» dont cette chanson brosse le portrait ont tout l’air d’une invention spectaculaire. Je repenserais à la réaction de mon père, plus tard, en lisant les situationnistes et l’usage qu’ils faisaient du mot («Pas de dialogue avec les cons»). Et certes, il fallait vraiment l’être pour héroïciser le travail en usine.

 

Laurent Jullier, Debord,
éd. Les Pérégrines, 2021

 

 

5 commentaires:

  1. On a pourtant un faible pour ce morceau de Lennon (à part sa piètre conclusion) qui, vu le milieu social dont il était issu, savait un peu de quoi qu'il causait.

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    1. Estimado Julio, je crois comprendre que l'apostrophe surgit devant l'interview et non à propos de la chanson, dont à vrai dire, mais peu importe, je ne sais que penser - cette conclusion effectivement est quelque peu malvenue... Toujours est-il que le gars Lennon a toujours eu un côté arrogant et on peut imaginer qu'en 1970, déjà bien embourgeoisé, il ait pu dire une ânerie suffisante pour déclencher l'ire du paternel...
      Amitiés (et merci pour le livre, reçu il y a deux jours !)

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  2. Bah, vu ses états de service, j'aurais tendance à beaucoup pardonner à Lennon. Ne serait-ce parce qu'il a constitué, et constitue encore, une bonne partie de la bande son de mon existence.

    Sinon, cher Inconsolable, quel est donc cet ignoble bouquet sur la photo qui accompagne le texte ? Jeff Koons ? Un de ses thuriféraires ?
    Quoi qu'il en soit, il y a des plastiquages qui se perdent...

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    1. Oui, cher Julio, personne n'effacera cette bande-son de notre jeunesse. Mais je serais curieux de savoir ce que pouvait raconter ce bon vieux Lennon dans cette fameuse interview.
      Effacement que mérite, en revanche et effectivement, le bouquet immortalisé par Gilles D'Elia. Saludos !

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  3. Je lis les échanges ci-dessus, question arrogance je crois que Debord se posait bien là, lui aussi. Et fort sentencieux en outre. Et bien moins drôle que Lennon. Après ils ne faisaient pas le même métier, hein, on ne va pas comparer...

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