dimanche 17 mai 2020

Vitamines du bonheur


Enfin, nos chères librairies de chez nous ont réouvert leurs portes. Plus ou moins en grand, en drive, ou en click and pick. Soutenant fermement les boutiques libres et indépendantes, j'ai refusé durant le confinement d'acheter mes livres sur la méga plate-forme internationale et inhumaine dont il faut s'affranchir mais je peux aujourd'hui confesser avoir ces derniers temps été en grand manque de nouveautés. Les romans de London, Calet, Bove, Bernhard, et les poèmes de Valet, Cohen ou Bukowski ne m'ont pas suffi pas et sentent vraiment trop la poussière. Je me suis donc précipité hier, le cœur haut et la bave aux lèvres, tout en respectant les gestes barrière, sur une demi-douzaine de titres dont ce méchant virus nous avait privés. Ainsi le dernier Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l'ombre, coédité, faut c'qui faut, par Robert Laffont et Héloise d'Ormesson, et malheureusement paru le 12 mars dernier, était de nouveau dans la lumière, histoire d'une romancière admise dans une très convoitée et néanmoins étrange résidence pour artistes… Comme nombre d'auteurs, victimes oubliés de la crise que nous traversons depuis deux mois, la belle Tatiana ne veut pas se contenter de jambon et de fromage et profite d'être de nouveau sous les feux de la rampe pour clamer haut et fort que l'Etat doit changer ses méthodes. Il y aurait, dit-elle dans le Journal du dimanche, « quelque 270 000 artistes-auteurs en France qui ne peuvent pas accéder à des soutiens, comme c’est le cas dans d’autres professions. » En achetant son livre, j'ai senti que mon geste était aussi beau, salutaire et solidaire que nos applaudissements jadis quotidiens destinés aux soignants.
Dans Fille, un roman d'une puissance exceptionnelle nous dit Gallimard, l'habile et pas fragile Camille Laurens évoque la vie de Laurence Barraqué, une fille donc, qui plus est de la bourgeoisie normande. Dès son plus jeune âge, notre charmante et héroïque héroïne découvre la domination masculine. Elle pense : « Tout ce qui est féminin déçoit, déchoit… », mais non, Camille ou Laurence, je suis là, et pour te le prouver, je t'achète sans hésitation.
Dans la même maison, une autre femme, encore plus belle et plus jeune, depuis toujours m'éblouit : Leila Slimani. Dans Le Pays des autres, l'amie de notre guide thaumaturge imagine qu'en 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s’éprend d’un Marocain combattant dans l’armée française. Oui, vous avez bien lu : 1944, armée française. Vous en aviez rêvé, Madame francophonie l'a fait. Qu'en dit Bruno Le Maire, notre bon ministre de l'Economie et des Finances, grand amateur proclamé de Thomas Bernhard, et auteur en 2016 d'un Ne vous résignez pas, et plus récemment dans la pamphlétaire collection Tracts de crise, toujours chez Gallimard, d'un Vouloir, Une économie pour la France, disponible gratuitement durant l'enfermement et à prix modique depuis, lu et relu plusieurs fois au cours de mes nombreuses nuits d'insomnie confinée ? 
Mon libraire m'a également promis de me mettre de côté, dès sa parution début juin, le dernier essai de Bernard-Henry Lévy qui, toujours aussi généreux, perspicace, discret et sincère, nous livrera pour 8 euros ses réflexions sur la Covid 19 – après moult vidéo-débats essentiels, l'Académie française a effectivement choisi le féminin pour désigner la maladie. Ce virus qui rend fou sera disponible chez Grasset bien entendu. BH s'y demande notamment ce que nous dit cette épidémie de la société qui est la nôtre. « Que nous révèle-t-elle de son rapport au mal, au tragique et à la mort ? Un virus est-il un message ? Un agent de la providence et de l'histoire ? Est-il l'envoyé d'une Nature épuisée, et qui demanderait grâce ? D'une humanité exsangue, et qui voulait un carême planétaire ? A-t-on bien fait de mettre la planète à l'arrêt ? A-t-on raison d'espérer que, de ce coma où on l'a plongé, notre monde sorte régénéré ? » et tout un tas d'autres questions que l'auteur des inoubliables Barbarie à visage humain et autres Diable en tête a eu le loisir de se poser tout au long de son confinement à Marrakech. Les droits d'auteur, nous dit l'éditeur, seront reversés à l'ADELC (Association pour le Développement de la Librairie de Création). Merci Bernard !
Début juin également, paraîtra chez Albin Michel, Française, signé Alexandre Jardin. Transformé, engagé et sincère, notre zèbre préféré nous prévient : « Je n'écrirai plus au dépens du réel, seulement pour le compte de gens simples privés de vies simples, le romanesque de l'ordinaire, ces vies infimes qu'on ne regarde pas. » Je n'en attendais pas moins de toi, Alexandre, je te réserve !
Avec tous ces nouveaux volumes à mes côtés, je me sens
désormais pleinement armé  pour affronter sereinement dans quelques semaines le prochain confinement.

6 commentaires:

  1. Vous vous faites du mal, cher inconsolable.
    Je ne saurais présager de la prochaine vague de bouquins où nos chers plumitifs nous livreront, hélas, leur expérience (forcément profonde et terrible) du confinement.
    Je sens que, plus que d'habitude, il va falloir apprendre à rire de ce qu'il faudrait pleurer.

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    1. Les éditeurs sont submergés de journaux du confinement, je sens que nous allons nous régaler, cher promeneur !

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  2. Enfin de la bonne littérature qui va te permettre d'aborder le monde d'après avec espoir. Bonne lecture cher Carlos.

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    1. Je suis entièrement d'accord avec toi, cher Luc, et grâce à ces lectures, et d'autres aussi fortes à venir, nous pouvons plonger avec joie et les yeux fermés dans le monde d'à peu près...

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  3. Alors d'abord, c'est vilain de se moquer de notre patrimoine culturel. C'est vrai quoi, ils font ce qu'ils peuvent. Et ensuite, on avait dit pas sur le physique (L. Slimani). Même par antiphrase. Faudra pas vous étonner, après ça, si Grasset ou Gallimard viennent taper la manche aux escaliers du ministère.
    J.

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    1. Cher Julio, n'y vois aucune malice, j'aime profondément notre patrimoine culturel et nos grantécrivains. Et c'est vrai, ils sont tous beaux, tous ! Et souriants. Comme dans les pubs...https://nosconsolations.blogspot.com/2017/12/entre-gens-normaux.html
      Abrazo !

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