mercredi 27 mai 2020

Comme tout le monde


être malade et très faible est une chose
très étrange.
quand aller de la chambre à la salle de bains
épuise toutes vos forces, on a l'impression
d'une plaisanterie mais
on ne rit pas.

revenu au lit on pense de nouveau à la mort et on arrive
à la même conclusion : plus on s'en approche
moins elle devient
effrayante.

on a tout le temps d'étudier les murs
et dehors
les oiseaux sur un fil téléphonique prennent beaucoup
d'importance.
et il y a la télé : des hommes qui jouent au base-ball
jour après jour.

pas d'appétit.
les aliments ont un goût de carton, ça vous rend
malade, plus que
malade.

votre gentille femme insiste pour que vous
mangiez.
« le docteur a dit… »

pauvre chérie.

et puis les chats.
ils sautent sur le lit et me regardent.
ils me fixent, puis sautent à terre
et s'en vont.

quel monde, vous pensez : manger, travailler, baiser, mourir.

heureusement j'ai une maladie contagieuse : pas de visites.

la balance indique 70 kilos au lieu de
98.

j'ai l'air d'un homme dans un camp de la mort.
où je
suis.

pourtant, j'ai de la chance : je me repais de solitude,
la foule de me manquera jamais.

je pourrais lire les grands livres mais les grands livres
ne
m'intéressent pas.

assis dans mon lit j'attends que ça passe
d'une manière ou d'une
autre.

comme tout le
monde.

Charles Bukowski, in Avec les damnés,
trad. Michel Lederer

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