dimanche 22 septembre 2019

Fleurs de ruine

Neuza Rodrigues

J'avais fini de lire Encre sympathique et trimbalais mon désarroi de lecteur insatiable à deux pas de chez moi, section livres de La Collecterie. Je fouillais les rayons sans trop y croire, me consolant intérieurement avec le souvenir des piles de bouquins qui m'attendent quelque part à la maison, au pied de mon lit, sur la table collée à mon bureau, ou posés sur une des étagères boursouflées de ma bibliothèque, lorsque je mis la main sur un titre de Modiano que je pensais ne pas avoir lu et décidai pour un euro de prendre le risque de me tromper. J'abandonnai ma station accroupie, m'apprêtant à regagner la caisse mais avisai un pavé de Bourdieu racolant dans l'allée pour 4 euros. J'hésitai un court instant mais, le feuilletant, je devinai que jamais je ne lirai entièrement ce traité sociologique rempli de graphismes et de tableaux décourageants. C'est au cours de cette brève réflexion que je remarquai une première carte postale que je glissai, une sueur coupable dans le dos, dans l'ouvrage de Modiano. Puis une deuxième, et une troisième. Trois cartes postales dans un même livre ! Je vérifiai que personne n'avait remarqué ma manœuvre et reposai satisfait le volume dont une autre main s'emparait déjà. Il s'en était fallu de peu.

Neuza Rodrigues

Un paysage de vallée autrichienne, Pettneu am Arlberg, cache quatre différentes écritures. La première est celle d'un enfant facétieux. 
Chers grands-parents
Nous sommes arrivés (le verbe avait été oublié et ajouté sur la ligne en dessous avec une flèche indiquant le bon emplacement) en Autriche sans avoir eu de problème avec la voiture, étonnant non ? Il a fait beau jusqu'à mardi mais aujourd'hui il pleut, on a donc été à la piscine pour éviter d'être mouillé (le participe passé était passé à l'infinitif mais fut corrigé), logique, non ?
Pour dormir, nous avons trouvé un petit coin sympa, juste entre l'autoroute et la ligne de chemin de fer (auquel fut ôté un t), agréable, non ? Sinon, tout va bien, je vous embrasse. Sébastien
Puis, en haut à droite, un autre expéditeur.
Il a tout dit le petit. On attend le lever des orages et de la brume pour aller se promener. Sinon on mettra le cap sur l'Italie pour ne pas déprimer et bronzer un peu. Grosses bises. Dominique
En dessous, une nouvelle écriture, moins ample.
Tout le monde va bien. J'espère que vous avez reçu ma 2e carte d'Irlande où je me suis très bien amusée. Bisous. Agnès.
Et enfin, une signature illisible. Alain ? Claire ?
Le mauvais temps gâche tout et c'est dommage car le pays tyrolien est bien joli. Bisous.
Neuza Rodrigues

La deuxième carte est écrite derrière une photo de la cour d'une MEDERSA (en lettres capitales) ancienne, dans la collection MAROC INFINI (également en majuscules). Dépôt légal : 1985 - L 221.
Le texte comporte quatre signatures (Loïc, Elsa, François(e ?) et Rosine (?) mais n'a été rédigé que par une seule personne.
Très bon début de séjour avec dépaysement total, soleil et impression en trois heures de temps d'être plongé dans un conte des Mille et Une Nuits. Nous retrouvons avec plaisir une ville qui a très peu changée (!) depuis vingt ans. Les enfants s'adaptent très bien à cette vie : Loïc rêve d'ouvrir un petit "bazar" dans le souk quant à la petite gazelle elle s'imagine plutôt en reine berbère. Grosses bises.
Neuza Rodrigues

La dernière carte postale est datée. C'est la seule. 19/06/88.
Elle offre quatre tableaux naïfs représentant Le Monde renversé : 1, Les femmes font la patrouille. 2, Le cuisinier à la broche, les oies la tournent. 3, La terre est en haut, le ciel est en bas. 4, Les femmes se battent en duel. Bon.
La légende au dos nous précise qu'il s'agit de bois gravés coloriés au pochoir. Puis, leur origine : Metz, Dembour et Gangel, 1842. 
Le texte qui s'étale sur toute la largeur de la carte est signé Ginette et Nicolas, mais rédigé d'une seule main.
Ci-joints photos (elles ont peut-être été conservées ailleurs, dans un autre livre ?) pour vous rappeler votre jeunesse. Ce sont comme d'habitude des 1ers jets – pas très réussis. Si vous voulez vous admirer davantage, rendez-vous à St-Jeannet (ceci est valable aussi pour Reinette).
Après une semaine à Paris, retour demain à St-Jeannet pour tout l'été. Nous vous embrassons.
Et puis, rajoutée au-dessus de la légende de la carte et de la date, cette mention, sans pronom personnel.
Aimerais bien parler "élections" avec vous –
Pierre Bourdieu se serait certainement régalé. Ou Modiano…

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