mardi 16 juillet 2019

Faire face

La notion de prestige a, dans la militation culturelle, une part déplaisante. Une part excessive certainement en tout cas. La militation culturelle n'est pas, pour les œuvres qu'elle veut imposer, réclamatrice d'affection, mais de révérence.
Il est temps de faire face non plus à la signification précise réelle du mot culture – celle d'un ensemble d'œuvres données pour exemplaires ; mais à la coloration particulière qui est donnée actuellement à ce mot et qui a réussi à transformer non pas seulement le mot mais la notion elle-même dans l'esprit du public. Le mot de culture ne signifie plus à cette heure l'ensemble d'œuvres du passé proposées pour références, il signifie bien autre chose. Il est associé à une militation, un endoctrinement. Il est associé à tout un appareil d'intimidation et de pression. Il mobilise le civisme, le patriotisme. Il tend à fonder une sorte de religion, de religion d'Etat. Il fait une énorme part à la publicité, au point que la publicité – la plus insipide, la plus grossière – se trouve maintenant impliquée dans la production d'art à un tel degré qu'un déport se produit dans l'esprit du public. Celui-ci se trouve convié à révérer non pas la création d'art mais le prestige publicitaire dont bénéficient certains artistes. Il ne lui vient pas à la pensée de s’enquérir des œuvres mais seulement des voies publicitaires qui les véhiculent.
Les artistes eux-mêmes, et pas seulement le public, sont modifiés par la valorisation de la publicité à laquelle travaille la propagande culturelle. Ils sont eux aussi conduits à penser que la publicité prévaut sur le contenu de l’œuvre. Et ils sont conduits à subordonner, non plus la publicité à la nature de l’œuvre une fois celle-ci faite, mais l’œuvre elle-même, au moment de la faire, à la publicité à laquelle elle se prêtera à donner lieu.
Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, 1968

5 commentaires:

  1. Cher définitivement inconsolable,
    Pinault, Arnault, koons … ont fait de l’œuvre d’art une marchandise (ce qu'ils osent appeler œuvre d'art), leurs artistes sont des marques. La poésie a déserté le champ public. Tout est moche. On nous isole et ceux qui s’intéressent encore à la beauté sont inaudibles. Je suis étonné qu’on puisse encore poster de la peinture ou de la poésie sur nos blogs.
    Don Quichotte n'y survivra pas
    lucm

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    1. Cher Luc, Dubuffet a écrit ce texte en 68... et ça n'a fait que se marchandiser au fil du temps, avec comme hérauts les personnages que tu cites... Le dernier livre d'Annie Le Brun démonte tout cela, et elle a dû quitter Gallimard pour pouvoir le publier (LVMH détenant 10% du capital) J'allais écrire un truc sur la beauté justement, mais je me suis découragé rapidement. J'y reviendrai un de ces 4. Tiens, ce matin, à Radio-Paris, était invitée une dénommée Eva Jospin. Qui a pondu une oeuvre monumentale et pérenne, dit-elle, pour Nantes... Viva el Quijote !

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    2. Je vois, une plasticienne (quel mot affreux), c'est bien la fille de , excellent pour le marketing.

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  2. Au sujet de cette manifestation estivale de l’art contemporain « Voyage à Nantes », c’est une véritable entreprise de décervellement. Cette année un Ârtiste a installé des alignements d’une multitude de statues grossières façon Jardiland , un autre a accroché des tas de planches en bois au sommet des édifices, les défigurant comme c’est le cas sur la Tour Lu par exemple. La foule accoure stupéfiée par cet art qu’il est très malvenu de critiquer. La ville de Nantes a édité une brochure sur les propositions culturelles de l’été. Le Musée des Beaux-arts , rebaptisé au passage Musée des Arts, n’occupe qu’une infime place dans cette brochure et fait la part belle au Voyage.

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    1. Asphyxiante Monumentale Kultur… On cherche oui, cher Luc, à nous intimider, nous faire fermer le bec, à coups de grosses "œuvres" et de gros billets… Ce qui na pas de prix, Annie Le Brun, ed.Stock (Lagardère)

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