Elaine Mayes via semiotic apocalypse |
Je reçois ce soir un message d'une amie de trente ans qui, encore dans le train, rentre de sa Bretagne natale. A sa mort, sa mère a laissé à ses filles une boîte contenant des lettres, des extraits de journaux intimes, des coupures de presse… Mon amie n'a pas eu la force de prendre connaissance de ces papiers après la cérémonie. Sa sœur non plus. Entre-temps, les questions ont pris possession de ses pensées. Un secret de famille. Sa grand-mère n'était pas la mère de sa mère. Qui n'était autre que cette grande sœur, morte prématurément, laissant un fils, au prénom identique à celui de sa mère. Faux oncle de mon amie qui ne s'est pas rendu à l'enterrement de sa cousine ou de sa sœur. Ce fantasme monté a été depuis corroboré par une cousine – vraie, a priori – frappée de nouveau par l'écho de racontars, de non-dits et sous-entendus de l'enfance. Deux semaines plus tard, ce soir, mon amie affirme dans son message, ne pas avoir, dans les quelques écrits lus, trouvé la révélation de ce secret. Elle rapporte la boîte à Paris, fera des copies. Elle est persuadée que cette histoire, qui ne saurait être inventée, transpire dans tout ce qu'elle a lu. Je ne sais comment répondre, pense à Thomas Bernhard et, pour faire le malin, lapidaire, écris Il n'y a pas de vérité. Lorsque mon amie s'était ces derniers temps rendu au chevet de sa mère, elle m'avait demandé de m'occuper de ses chats, et j'en avais profité pour fouiller sa bibliothèque. Je m'étais étonné de ne trouver qu'un seul titre de Thomas Bernhard sur les étagères de cette germanophone. Mais avais emprunté Un grand voyage de Calet, lu d'une traite et vite, ni vu ni connu, résistant à l'envie de le garder, remis à sa place. D'où la littérature, me répond-elle… J'écris qu'il faut relire Thomas Bernhard, ce que je devrais faire et dont j'ai justement envie au lieu de faire le malin – j'échappe difficilement au sentiment de n'être qu'un cuistre ou un vulgaire imposteur lorsqu'il m'arrive de conseiller une lecture... La réponse de mon amie sur les rails ne tarde pas. Je lis présentement dans le train Extinction de T. Bernhard, écrit-elle. J'ouvre immédiatement une nouvelle bouteille pour boire à la santé de Thomas Bernhard, de la mère de mon amie, des secrets de famille, de la littérature, de la vérité et, ça en fait des verres, j'ai oublié la suite…
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