mercredi 16 août 2017

Pas des miettes !



Le bac en poche, Wladimir Malacki, né à Varsovie en 1908, bourlingue en Afrique puis en Europe, exerçant divers métiers, notamment dans les mines de plomb de Provence. Découvrant la littérature, il passe des journées entières à la bibliothèque de Sainte-Geneviève à Paris, décidé à devenir écrivain. Ce qu'il fera sous le nom de Jean Malaquais. Dans sa préface à la réédition en 1999 de Planète sans visa, Norman Mailer rappelle la rencontre de Malaquais et d'André Gide en 1935.
Tous deux s'étaient connus du jour où Malaquais, tombant dans une revue sur un extrait du Journal de Gide, avait adressé à l'écrivain une lettre incendiaire.
Gide écrivait dans ces pages qu'il lui était arrivé de se demander si la pauvreté, qu'il n'avait pas connue, n'aurait pas pu donner de la profondeur à son art. On peut imaginer toute l'ironie que devait dissimuler un tel accès de sentimentalisme flagrant. Malaquais cependant releva cette assertion barbare et la brandit : « Vous devriez tomber à genoux et prier ce Dieu auquel parfois vous prétendez croire, pour le remercier de vous avoir laissé vivre en bourgeois aisé, libre de s'adonner tout entier à son art. » Tel était le ton de la lettre, rugissement de fauve surgi du plus profond de l'amertume, cri d'un homme qui s'efforçait d'aller au bout de son talent malgré ses poches vides et son estomac creux. Gide lui répondit d'un billet d'excuse. Il avouait ne pas avoir songé aux écrivains qui se trouvaient dans la situation de Malaquais, pour qui de tels propos étaient forcément intolérables. Il craignait d'avoir joué trop légèrement avec une idée qu'il avait en tête : il avait voulu choquer un certain nombre de ses confrères, si préoccupés de leur sensibilité qu'ils en étaient venus à se caparaçonner pour éviter de se frotter aux rugosités du monde. Oui, ça avait été un manque de tact de sa part que d'ignorer la situation de jeunes gens sans le sou et le sentiment qu'ils ne pouvaient manquer de ressentir à lire cela. Gide joignait à sa lettre un mandat de cent francs – une somme qui de nos jours permettrait tout juste de remplir un petit panier à provisions chez l'épicier du coin. Malaquais déchira le mandat et renvoya les morceaux à Gide avec ce mot : « Ne croyez pas que vous puissiez racheter votre âme avec un timbre-poste. Si vous voulez faire quelque chose pour moi, faites du vrai. Ne me jetez pas des miettes ! »
Nouvelle lettre : Malaquais voulait-il lui rendre visite ?
– C'est toi Malaquais ? s'enquit Gide le jour de la visite.
– Oui, c'est moi. C'est toi, Gide ?
Les deux hommes devinrent amis, Gide employant parfois Malaquais à la lecture de manuscrits ainsi qu'à divers tâches de secrétariat, et entretinrent une correspondance jusqu'à la mort de l'auteur des Faux-monnayeurs, – l'édition chez Phébus semble épuisée. 

6 commentaires:

  1. C'est marrant, cette correspondance entre Gide et Malaquais, éditée chez Phébus, a finie par me rendre Gide quasiment sympathique.
    jules

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    1. C'est un de ces bouquins, cher Jules, que j'enrage d'avoir perdu au cours – ou après – l'un des nombreux chaos de cette putain de vie…

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  2. Si ça peut vous consoler, il semble qu'il ne soit pas mentionné comme épuisé chez l'éditeur.
    J.

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  3. Oui, j'ai vu ça, mais lorsque je me rends sur les sites répertoriant les livres disponibles, il n'est indiqué aucune disponibilité et on me propose des produits similaires tels que Les Lettres d'Obama…

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  4. Il est bien épuisé mais une réédition est annoncée par Geneviève Nakach et Pierre Masson...

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    1. Excellente nouvelle ! Savez-vous quel en sera l'éditeur ? Merci.

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