mardi 31 mai 2016

Du poids des images

Un ami qui se lamente de me savoir sans télé et rangé des voitures militantes, me harcèle de vidéos illustratives du paysage urbain français contemporain. Quelques images de notre belle démocratie et du nouveau monde que l'on met sagement en place pour nous mais que certains hurluberlus - comme ma fille aînée - tentent de contester - pour nous.
Pensant à tous les égarés inconsolables dans mon cas ou à celles et ceux trop conditionnés par nos grands et indispensables médias, je me permets à mon tour de vous les soumettre...









Bonus (le choc des mots)
Myriam El Khomri, aujourd'hui sur RTL : « Le gouvernement a montré sa capacité d’écoute et de dialogue » 

dimanche 29 mai 2016

Fuck You !


Il fallait que ça vienne
ce matin je suis parti
ces jours d'oubli de silence
de cris mal au ventre
à ramper concilier
un corps impossible
cette gueule toujours
pas un sourire une caresse un joli mot
des années à l'étroit tous les deux
et les plus belles derrière moi
à enterrer le courage jouer à cache-cache
grimaces en coin
désillusions sous le maquillage
étouffées déchaînées à coups d'insomnie
hystérique renoncements compromis 
l'habitude de ce quotidien
dénuement angoisses et dépression
l'automne toute l'année
des baffes oui !
une dernière bouffée d'air
avant la poussière
c'est fait et je m'en étonne 
encore
ne sais où aller mais
jamais ne reviendrai 
c'est fait
délivré
ce matin, je me suis quitté

Charles Brun, odieux adieux

vendredi 20 mai 2016

Une vie de rêves


Ma chère chérie le sachet de thé 
me souhaite un jour de paix harmonie tranquillité
je ne sais plus dans quel ordre
le chien ronfle je m'étire
des éclaircies en fin de journée
je me couvre
des mots d'hier
noyés je ne sais plus
dans quels verres
j'ai tout fait pour ne pas faire
toujours
projets monnaie pouvoir vacances travail
famille pas triste
ri de tout du temps 
de la femme de mes rêves agités
j'étais plus vieux qu'aujourd'hui
j'étouffais toutes ces années
tu connais l'histoire
que l'on ne m'a pas racontée
je n'ai rien fait du silence
fui nulle part 
sans douleur
sans la connaître 
sans mode d'emploi
pas même en chinois
aucune classe
pas même le courage
ne dis rien à personne
encore déjà debout
j'en reprends une
et bois aux désordres
aux bons conseils
à la mesquinerie
à la bienveillance
à la chaleur humaine
paraît qu'elle existe 
somewhere over the rain


mercredi 18 mai 2016

Le goût du sang

Robert Doisneau


Il me semble naturel, voire significatif, que nous nous rendions dans un bar pour nous quereller. Les bars ont certainement été créés pour cela. Nous avons tous besoin d'être contredits, de nous enflammer pour presque rien et, si nous portons des manches longues, de pouvoir les retrousser. Avoir raison est une sorte de faim et la rassasier une obstination ancienne. Peu en importe le prix. La raison est la raison et nous l'aimons. Il nous plaît de croire qu'elle nous appartient. En fait, il ne s'agit pas seulement d'avoir raison, mais de la briguer. Si nous l'obtenons sans effort, nous avons tendance à la mépriser. Nous n'aimons pas qu'on nous l'accorde comme à n'importe quel crétin. Nous reprenons vie après un désaccord durant lequel, pour recouvrer nos forces, nous nous sommes tournés régulièrement vers le comptoir en disant : « Garçon, la même chose ! »
Peu importe la raison pour laquelle nous nous disputons. La passion qui est la nôtre lorsque nous tentons d'imposer notre raisonnement embrasse tous les sujets, du plus populaire au plus sophistiqué. Avait fait grand bruit il y a quelques années, l'arrestation dans l'Oural d'un ancien professeur suspecté d'avoir poignardé un ami lors d'une vive discussion sur les genres littéraires. Avant l'agression mortelle, ils avaient passé un temps à boire, en parfaite harmonie. Jusqu'au moment où la victime déclara en haussant maladroitement le ton que « la seule littérature authentique est la prose ». Son ami, qui pensait que cet honneur revenait à la poésie, ne put se retenir et d'un coup de couteau choisit de clore le débat. Il n'existe probablement pas de dispute mineure.
Sir Hugh Beaver sut comme personne tirer profit des querelles de bistrot. C'était un homme d'affaires, ne l'oublions pas. En 1954, à la tête de l'usine Guiness, lui vint une idée pour promouvoir sa bière. Après un dur travail de terrain, qui parfois comprenait de boire quelques coups, il finit par conclure que les gens, d'un verre à l'autre, s'évertuaient à avoir le dernier mot. C'est ainsi qu'il créa Le Livre Guiness des records, faisant autorité en cas de dispute. Beaver était persuadé qu'un tel ouvrage serait de grande valeur dans les pubs irlandais. Et il eut raison.
Nous trouvons dans la nature même du bar, si toutefois celle-ci existe, le désaccord, le feu, la passion. Karmelo Iribarren, l'un des poètes ayant le mieux introduit le bar dans la poésie, ou le contraire, a écrit il y a quelques années des textes éclairants à propos de l'appel à la guerre qui surgit devant tout comptoir. Ils surnagent encore. Dans un rythme palpitant, en des vers nullement affectés, à la manière d'un raclement de gorge, Iribarren évoque les villes devenues des lieux hostiles, solitaires et froids, sans une once de chaleur, mais dans lesquelles heureusement « restent encore les bars/ces lieux/obscurs/qui s'allument/lorsque tout le reste s'éteint/ces coins sans âme/dotés d'une véritable chaleur ;/qui sait/s'ils ne sont le dernier refuge/d'où l'on ouvrira de nouveau le feu ».
La raison connaît un mouvement perpétuel. Qui plus est dans un bar. Elle passe de mains en mains, elle va et vient, jusqu'à atteindre le comptoir et pouvoir enfin se reposer, laissant le barman faire son boulot. Pas un habitué ne lâche facilement prise. Aucun n'est préparé en quelque sorte à déclarer : « Tu as entièrement raison, je me suis complètement trompé ». Un renoncement sans condition, sans la moindre résistance, ferait l'objet d'une engueulade immédiate. Avoir raison sans livrer bataille a peu de valeur. Cela signifierait, j'en ai peur, la fin des bistrots, et qui sait, peut-être même la fin de la boisson. Moi, je reste très calme lorsque quelqu'un me dit : « Tu n'y comprends strictement rien ! » L'être humain, comme l'affirmait Kant, aspire peut-être à l'harmonie et à la tranquillité, mais la Nature sait davantage ce qui est bon pour l'espèce, et cela s'appelle la discorde. La paix que chacun cherche dans un bar est justement la confrontation avec les autres. Un autre poème d'Iribarren illustre parfaitement la guerre qui habite intérieurement tout client de bar : « Le type but/son verre/d'un trait/et regarda autour de lui./Il n'y avait plus personne/et/d'une claque il écrasa/une mouche/paya/et partit en quête/de sang/dans un autre bar ».
Juan Tallón, Garçon, la même chose !,
chronique parue dans El Progreso le 14 mai 2016
traduction maison

mercredi 11 mai 2016

La langue populaire

En attendant la manif de demain - et les coups sur la tête -, un peu de harcèlement via webcam et en musique avec Calamaro et ses potes.

mardi 10 mai 2016

Home cinéma



Avant de repartir chez sa mère, ma fille a voulu m'emprunter un film ou deux. Des trucs que tu nous montrais quand on était petites et que j'aimerais bien revoir. Je leur ai montré tellement de films, il y a de cela tellement de temps, j'ai l'impression d'être un vieillard...



Depuis que j'habite cette maison, les DVD sont couchés dans une niche de l'escalier. Les étagères sur mesure que nous voulions prendre le soin d'y installer, les murs n'étant pas droits, ne verront certainement jamais le jour. Tout comme le vidéoprojecteur que nous rêvions d'acheter un jour, quand on aura les moyens, pour continuer à regarder des films tous ensemble. Nous savons depuis peu que la maison n'est plus habitable, qu'il va nous falloir la quitter, seule la date de ce renoncement demeurant encore incertaine.
Les films sont là, attendant, sans trop d'illusion, que l'on pense à eux. Fort heureusement, de temps en temps, ils circulent d'une maison à l'autre. 



J'ai acheté beaucoup de DVD à une époque. Le plus souvent, en pensant les partager avec elles. Je vivais seul et lorsqu'elles venaient me visiter, c'était la fête du cinéma. La demande de ma fille m'a rappelé quelques absurdités de ces séances. Leur passer Psycho - oui, en VO, je tenais beaucoup à la VO dès qu'elles ont été en âge de lire - les a terrorisées. Impossible ensuite de faire prendre une douche à l'une sans la présence dans la salle de bains de l'autre. Je pensais que les enfants aimaient avoir peur. Il était hors de question qu'elles pensent que la vie allait ressembler à un long fleuve tranquille publicitaire.


Les parapluies me permettait de dissimuler mes larmes d'être séparé d'elles derrière celles naturellement suscitées par ce film enchanté mais épouvantablement déchirant. Nous n'étions pas beaux à voir, à nous disputer la boîte de mouchoirs sur le canapé. Il était hors de question qu'elles s'imaginent une seconde que la découverte du sentiment amoureux allait les propulser aussitôt dans une comédie musicale – mais je pense tout de même leur avoir montré Les Demoiselles avant…
Et je transposais en noir et blanc avec ce film unique de Charles Laughton les lectures trop rares du soir au pied de leurs lits.




Le plus difficile était de les coucher. J'avais instauré un rituel stupide, celui des extraits. De films pas de leur âge, je passais un bout, souvent le début, ou une séquence isolée.



Elles en redemandaient un dernier. Et le dernier devenait l'avant dernier. Et je ne pouvais mettre fin à ces moments privilégiés où, collées à elles, je testais leur curiosité, leur goût, les limites de ce que je pouvais leur apprendre. Parfois, je pausais et revenais en arrière, leur montrant tel ou tel truc de montage, le choix d'un cadrage, l'absence de dialogue, l'arrivée d'une musique.
Je leur montrais des choses étranges, tout au moins inattendues, espérant les éloigner du trop commun, du tout venant. Elles me traitaient de fou en se marrant. Et en redemandaient. Ça non plus, ça ne reviendra plus.



samedi 7 mai 2016

Le bref été de l'anarchie


Notre bon Président a commémoré le Front pop' dans les locaux du think tank progressiste qu'est la Fondation Jean-Jaurès. Soutenu, me dit un ami, par les grands médias. Dont feu Libé et son inénarrable Laurent Joffrin qui, à travers un éditorial ahurissant, nous assure, sans rire, que Hollande vit « dans ce souvenir lumineux et amer » de 1936, les réformes scélérates en cours, nécessaires, faisant partie des « principales avancées qu’a connues le peuple travailleur ». 
Gageons que ces médias accorderont un peu moins de place à ce qui, en 1936, se passait de l'autre côté des Pyrénées. Le bref été de l'anarchie, tel qu'il est conté ici par ceux qui l'ont vécu et bâti, n'a pas bénéficié, s'en souvient-on ?, des faveurs du Front pop' et des grandes démocraties européennes. Il y aurait pourtant bien des rapprochements à faire avec ce que nous vivons aujourd'hui. Silence donc...





Un Autre futur fut réalisé par Richard Prost il y a une vingtaine d'années.
On peut en voir un peu plus
ici ou commander le film .

vendredi 6 mai 2016

Crève, mon amour


Je veux que tu souffres autant que moi
et j'apprendrai à prier pour y parvenir
Je veux que tu te sentes aussi inutile
qu'un verre sans whisky dans les mains
et que dans ta poitrine
tu aies l'impression que ton coeur
appartient à un autre
et que tu en souffres
Je veux que tu meures 
où que tu sois
et j'apprendrai à prier pour y parvenir
Lorsque je l'ai entendu pour la première fois, il y a donc bientôt 20 ans, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un de ces vieux chanteurs exotiques, voire espagnols, un truc des années 50, un de ces séducteurs qui aurait murmuré à l'oreille de ma mère, et que ce bon Pedro cherchait à dépoussiérer en l'intégrant dans la B.O de son film, comme il l'a fait par ailleurs pour Chavela Vargas, Xavier Cugat ou Sara Montiel. Malgré la présence de la bête Javier Bardem et celle de la délicieuse Angela Molina, Carne trémula (En chair et en os) n'est pas le meilleur film de l'auteur mais cette scène, emballée dans cette chanson, m'avait effectivement fait trembler la peau.



A l'époque, Internet était balbutiant, et je n'avais pas cherché à savoir qui était Albert Pla. Je me demande même si j'avais retenu son nom. Ce n'est que bien plus tard que je découvrais cette version castillane de la fameuse chanson de Lou Reed et faisais le lien entre le chanteur inconnu de 1997 et ce punk allumé, mal élevé et catalan, né en 1966, partisan de l'indépendance de sa région, et de la libéralisation de toutes les drogues, et pourfendeur de Podemos, me dit-on... Personne n'est parfait.




mercredi 4 mai 2016

L'espoir, le soir


elle pense qu'elle fait toujours les mauvais choix
ça ne se discute même pas
elle prend toujours
les mauvaises décisions
les courses, le chien, la maison,
la couleur des cheveux
sa dernière position
la vie
tout ça
si elle le pouvait
si c'était à recommencer,
elle en ferait d'autres
des conneries
elle en veut à son père
à la terre entière
personne ne lui a dit comment faire
elle s'est toujours trompée
sur tout
j'ai pas le courage d'en parler
je suis fatigué

mais j
e pense
qu'elle exagère

qu'elle se trompe
doit y avoir des exceptions

des trucs qui ont marché
j
'espère et je reprends
un dernier verre
Charles Brun, elle et lui

lundi 2 mai 2016

Repos éternel


L'enterrement de Cioran, qui eut lieu au cimetière Montparnasse en 1995, fut peut-être, pour moi qui y assistais un peu de loin, son chef-d'œuvre absolu, quoique involontaire. Mme. Ionesco avait réussi à convaincre Simone, assez réticente, d'accorder à Cioran les honneurs funèbres prévus par le rite orthodoxe de Roumanie : messe ponctuée par le sermon d'un pope suppliant Dieu de pardonner à Cioran ses abominables écrits, enterrement au cimetière selon les rites stricts de l'Eglise roumaine qui prévoit, autour de la fosse encore vide, une théorie de bouteilles, ainsi qu'un gâteau des morts dont tous les assistants devaient manger un morceau arrosé d'un demi-verre de vin. Or, avant que le convoi funèbre ne soit parvenu au cimetière, les fossoyeurs, qui avaient remarqué la présence de victuailles déposées au bord de la fosse et les avaient prises pour une sorte de pourboire à eux destinés, en avaient consommé la moitié avant avant de mettre l'autre moitié à l'abri dans leur cabanon, voyant l'assistance qui approchait. Interrogés, les fossoyeurs se contentent de remercier du cadeau, avant qu'on leur explique leur méprise. Des négociations commencent alors à la porte du cabanon, qui butent sur un compromis dont les fossoyeurs alors en pleine révolte qui, sous l'emprise d'un meneur de choc, considèrent que le reste du butin leur appartient, ne veulent pas en démordre : ils rendront bien, si on l'exige, les bouteilles encore pleines et la moitié du gâteau ; mais cette brimade et ce « manque à gagner » auront pour contrepartie une autre brimade : ils n'enterreront pas Cioran. Grève illimitée du personnel du cimetière de Montparnasse. Un accord fut long à trouver et je pus croire un moment que Cioran, qui en avait tant besoin, serait à jamais privé de repos éternel.

Clément Rosset, "Souvenirs sur Cioran", Les Cahiers de L'Herne,
repris dans Faits divers, Puf, 2013

 

 

Fête de la police


Des incidents inacceptables se sont produits à Paris de la part d'une minorité marginale et violente…
Bernard Cazeneuve, ministre de la police



Et déjà…