Roger Parry |
Quant aux premières lignes du premier livre de l'ami Calet, les voici.
Je suis un produit d'avant-guerre. Je suis né dans un ventre corseté, un ventre 1900. Mauvais début.
Ils pataugeaient dans le chemin des pauvres, mon père de vingt ans et ma mère, qui devait avoir bien du charme avec sa trentaine ; j'en juge d'après les photographies que j'ai vues.
Ils se sont rencontrés. Mon père, sur l'instant, se fit tatouer un coeur allégorique, traversé d'une flèche, sous le biceps gauche, parce qu'il était amoureux. Ils se sont mis « à la colle », c'est l'expression de ce temps, je suis venu, et on est parti tous les trois.
Tas petit de chair molle, oublié au fond d'un tiroir de commode aménagé sommairement en berceau, j'ai fait ma collection d'images. J'ai empli mes yeux vides avec les fleurs du mur ; la flamme remuante et plusieurs fois pointue de la lampe à pétrole ; les lézardes sinueuses, sombres sur le plafond gris.
Bercé dans les grands bras solides, confiant, serré contre une poitrine chaude, j'ai eu les bons jours de la vie dans le vide.
Rien que du chaud.
Le lait blanc, en jet, du corps de ma mère et qui chatouille le gosier ; l’odeur de la bouche de mon père, tabac et Pernod mêlés, qui venait chez moi, au travers des poils de moustache noirs, en même temps que des mots ; la marche des mains sur la peau de mon corps, caresse qui partait du nombril et remontait jusqu’à la gorge… la p’tite bête qui monte, qui monte, qui monte… Kirikiki…
Henri Calet, La Belle lurette,
Gallimard, 1935
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