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Mimmo Jodice |
L'homme accepte la mort mais non l'heure de sa mort.
Mourir n'importe quand, sauf quand il faut que l'on meure !
cioran
un traitement lourd était exclu
son passage parmi nous prenait fin
nous avions eu cette chance
il nous faudrait choisir l'heure du départ
lui éviter trop de souffrance...
nous avions beau le savoir,
y penser
avoir le temps de nous y préparer...
et puis il avait laissé les paroles s'étrangler d'elles-mêmes
la voix voilée
les larmes déposées
il entendait dans leurs yeux
nous ne sommes plus des enfants
comme à leur habitude, elles n'étaient pas arrivées
à l'heure prévue
et l'une
après l'autre
il aurait pu leur écrire un texte
évoquer le choc muet de la mort
qui nous cisèle
quelque chose comme ça
aurait-ce été moins grotesque ?
ces derniers temps les mots lui échappaient
se résistaient à l'alignement
n'avaient plus aucune justesse,
aussi fantomatiques que lui
le monde était plein de poèmes,
disais-tu mon cher vieux ray
il y a déjà plus de quarante ans
aujourd'hui,
des vers circulaient sur des écrans, le métro,
remplissaient des étagères poussiéreuses
les bibliothèques désolées
personne n'y prêtait plus attention
qui avait encore besoin d'un nouveau poème ?
elles étaient venues voir la chienne
– une dernière fois ?
il s'était contenté en les attendant
d'écouter le disque quatre des complete columbia studio recordings 1965-68
du deuxième miles davis quintet
dégoté récemment sur le bon coin
en jonglant avec les deux plaques du four et les trois pizzas
surgelées
achetées à leur attention en sortant du travail
mais ces samedis soirs nerveux où il cuisinait
pour elles
les dimanches après-midis dvd
tous les trois serrés sur le canapé
cette époque-là aussi était morte.
charles brun, filles de kilimanjaro