Hans Wolf |
je confondais
je ne voudrais pas oublier
sa profonde tendresse
avec une secrète détresse
je tentais je crois de la soutenir
en l'écoutant reprendre des airs
de jazz au piano-bar
d'un grand hôtel du nord de la ville
pas loin du quartier du port
coincée sous les néons bleutés
pour l'intimité cool
tous les vendredi soir
de septembre à décembre
entre la porte-tambour à l'ancienne
et le comptoir en faux marbre
de la réception
les allées et venues oisives, entêtantes, braillardes
des grands clients étrangers
et de leurs laquais locaux
étouffaient les noires comme les blanches
et sa voix sussurée
il n'y avait sur terre
numéro plus désespéré
je finissais mon dernier verre
avant le suivant
le soir où elle miaula un blues de michel jonasz
avec son accent roumain à fendre larmes
je dus m'enfuir
me cacher
chialer mes dix-sept ans
ses trente-trois tours que je connaissais
de la première à la dernière plage
régulièrement elle me suppliait
de lui écrire une chanson qu'elle
murmurerait pour moi
à la prochaine saison
au milieu des courants d'air
invariablement fidèle à mon manque d'imagination
à une paresse ancestrale
je suçais les mots des autres
qu'elle traduisait dans sa langue
avant de s'imaginer les habiller d'accords subtils
pour y plaquer sa voix de diva de l'est
son contrat expirait peu avant les fêtes
au grand dam de ses soupirants
disait-elle
en me plaquant contre la paroi de l'ascenseur
chopant mon ennemi juré
craché
dans sa bouche
je promettais alors tout ce dont elle rêvait
les palaces, le ciel bleu, le soleil
toute la vie
nous finissions ivres d'allusions
et de mauvais alcools confortablement
parfois
sur la moquette d'une chambre clandestine
ouverte par son ami veilleur de nuit
comme de jour
j'ai à peine dépassé le premier couplet et
jamais il n'y eut de prochaine saison
finie la musique
le grand hôtel du nord de la ville dit-on
a fermé depuis des lustres
j'aimerais oublier l'illégale diva retournée
un jour vivre au pays d'emile m.
où elle fredonne encore paraît-il
des airs de jazz
en faisant des ménages et
parfois
de nouveaux ennemis
dans un hôtel tout confort
près du nouvel aéroport.
charles brown, les grands voyageurs
traduction maison
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