Ce midi, après la promenade du chien, accablé par la chaleur, je branche la radio tout en préparant le repas. Les infos se lancent. Grâce au soutien de toute l'Europe, me dit-on, l'Ukraine a gagné. C'est le premier titre. Et on le comprend. Le journaliste exulte et interroge un expert : « Un événement comme l'Eurovision peut donc être un enjeu géopolitique ? » Le spécialiste est formel : « Oui, c'est ainsi depuis 1956 et la création du concours par l'Union européenne… » Un extrait de la chanson braillée par Oleg et ses amis nous est proposé en fond sonore. Je dois me faire vieux. Vient ensuite l'inoubliable harangue du chanteur couronné invitant le public de Turin et les 200 millions de téléspectateurs, m'apprend-on, à tout faire pour libérer Marioupol et l'usine Azovstal. Plus loin, c'est Zelinsky en kaki qui affirme : « Notre courage impressionne le monde, notre musique conquiert l’Europe ! » En rentrant, comme tous les hommes de leur âge, les musiciens de Kalush orchestra devront reprendre les armes, conclut le journaliste. « Nous nous battrons jusqu'au bout ! », clament les musiciens-soldats. Durant la cuisson des courgettes, j'ouvre internet. Strass et paillettes, les unes des médias sont à l'unisson ukrainien.
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Sur touitteur, le petit caporal de Saint-Germain-des-Près, Bernard-Henri Lévy qui, comme à son habitude n'en loupe pas une (guerre), cite Aragon. « Ils n'ont réclamé ni gloire ni larmes », écrit-il en renvoyant à l'un des entretiens « les plus bouleversants » de sa vie, celui publié dans l'hebdo dominical de Lagardère-Bolloré et que lui a accordé Ilya Samoïlenko. « Il a 27 ans, un beau visage très pâle, un œil qui semble mort, un collier de barbe noir, étrangement bien taillé », lyrique BHL. Cet homme, dit la légende de la photographie, est le commandant en second du régiment Azov. Cette semaine, à l'instar d'autres titres internationaux, le quotidien de Xavier Niel a consacré à ces soldats réfugiés dans l'usine Azovstal, assiégée par les troupes russes, un publireportage, tout à leur gloire, sans plus de commentaires. Dans le JDD, la conversation du néophilosophe et du néonazi patriote débute, comme il se doit, de la sorte : « - Je suis très ému de vous parler. – Et moi très content. Vous vous êtes connus, avec notre commandant, l’année dernière, à Marioupol. Il a des mots chaleureux pour vous. » Les courgettes sont prêtes, je n'ai pas le temps de lire la suite – une grande partie du papier est réservé aux abonnés du journal, soyons juste.
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La guerre continue en pleine digestion. Somnolant, je reviens sur la toile pour y découvrir que l’OTAN soutiendra militairement l'Ukraine « aussi longtemps que nécessaire ». Nous voilà prévenus. Je glisse la souris sur le titre voisin. La Suède et la Finlande seront de la partie, leur adhésion à l'Alliance atlantique n'étant qu'une affaire d'heures. Le plus sérieusement du monde, le quotidien du poète Patrick Drahi propose sur son site un tuto censé nous expliquer comment on adhère à l'OTAN. En deux-trois clics, le panorama mondial se montre aussi bouleversé que BHL.
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Ailleurs, j'apprends qu'une fusillade a fait au moins treize victimes à Buffalo, dans le sud de New York (USA, la grande démocratie, gendarme de la planète, tout ça). La nouvelle célébrité se nomme Payton Gendron et n'a que 18 ans. Bravo jeune homme ! Il ne s'agit pas d'un attentat terroriste, nous rassure-t-on. Le tireur est purement blanc, fait partie de la mouvance suprémaciste et n'a donc pas crié « Allahu akbar ! » en pénétrant dans un supermarché essentiellement fréquenté par la communauté noire – ça existe dans ce modèle de pays. Selon les premiers éléments de l'enquête, comme on dit, Gendron entendait lutter contre le Grand remplacement, se référant explicitement à la doctrine développée chez nous par un de nos grands écrivains nationaux, sorti récemment de l'ombre par nos chaînes d'info en continu lorsque ladite théorie, on s'en souvient, fut remise à l'ordre du jour par un candidat officiel aux présidentielles, dit « le polémiste », chouchou des médias – ceux de Bolloré et les autres… Une photo, circulant sur les réseaux sociaux, nous montre le tueur arborant le symbole nazi des héros d'Azovstal chers à BHL, Niel et cie.
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En France aussi, nous avons nos héros qui tirent plus vite que leur ombre. Le type, chanteur sur You Tube, est proche, dit-on, des grands penseurs que sont Alain Soral et Dieudonné. Il a connu son fameux quart d'heure de gloire sur les plateaux TV de Bolloré en tenant des propos confus sur la politique sanitaire lors de la pandémie. Vendredi soir, notre justicier est témoin d'une bagarre alors qu'il circule en voiture boulevard Clichy. Il s'interpose, se fait envoyer sur les roses et, n'écoutant que sa lâcheté, sort son arme et abat son rabroueur – noir de peau – avant de prendre la fuite, sans avoir donc crié « Allahu akbar ! ». Il se rendra peu après à une équipe de la BAC, après avoir été localisé, ne manque-t-on pas de nous indiquer, grâce à la télésurveillance.
En attendant la Troisième Guerre mondiale, notre cher guide national tente de nous distraire et laisse fuiter son désir de placer au poste de Premier ministre une dénommée Catherine Vautrin. Les médias nous apprennent que cette sexagénaire a fait carrière au sein d'une grande compagnie d'assurance américaine avant d'entrer en politique au sein du RPR et devenir députée de la Marne. La grande Catherine connaît son heure de gloire en participant à la Manif pour tous il y a quelques années et en étant mise en examen pour abus de confiance dans l'affaire du paiement de l'amende de Nicolas Sarkozy après sa piteuse campagne électorale de 2012. Une candidate de poids, assurément…
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Après la sieste, je décide de me changer les idées en écoutant l'amie Anne-Cécile Robert interviewée par Olivier Berruyer, créateur du site Les Crises et du média en ligne, Elucid. Ensuite, je suis passé direct à l'apéro…