mercredi 4 mai 2022

Dieu et moi

 

Izis

 

En ouverture du troisième carnet, en date du 8 avril 1930, Paul Gadenne, qui prépare son mémoire d'agrégation sur Marcel Proust, prend soin de noter cet avertissement :

 

Si ce cahier tombe entre les mains de quelqu'un, j'espère qu'il voudra bien avoir la discrétion de ne pas le lire, à cause du caractère intime de ces notes, et parce qu'il pourrait se tromper sur l'esprit dans lequel elles ont été conçues. Il ne faudrait pas par exemple y chercher un portrait de moi-même. Mes sentiments sont ici «romancés», c'est-à-dire portés sur le plan de l'invention, du «romanesque». Beaucoup d'anecdotes sont dénaturées dans le même sens. Le seul fait d'aller jusqu'au bout dans l'expression des sentiments suffit d'ailleurs à les dénaturer. De plus la parfaite franchise du monologue intérieur, la liberté absolue avec laquelle on s'exprime dans ce genre de cahiers, et qui est la liberté même de la pensée lorsqu'elle se développe sans témoins, m'ont amené à émettre sur les choses et sur les personnes, mes hypothèses, mes doutes, mes sentiments spontanés, lesquels ne sauraient avoir de signification sociale, et demandent à être rigoureusement replacés dans l'atmosphère intime où ils ont été conçus et dont ils ne doivent pas être sortis, dont ils ne peuvent sortir sans être altérés.
En somme, ceci est un dialogue entre Dieu et moi. Je demande qu'on veuille bien ne pas s'interposer entre nous.

 


Paul Gadenne, Le long de la vie, Carnets 1927-1937,
Éditions des instants, 2022.

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