Moussa Ibn Yacoub est rentré sain et sauf. Le maire l'avait transformé en héros montreuillois, placardant sa photo grand format sur la façade de l'hôtel de ville à l'architecture stalinienne, comme d'autres mairies l'avaient fait dans le passé avec Florence Aubenas ou Ingrid Betancourt. Cette commune que j'habite depuis lurette plus ou moins belle a également affiché les portraits des athlètes du cru participant aux J.O. de Rio sur les panneaux d'informations municipales Decaux. Il faut se créer des personnages, des idoles, des causes à défendre, les citoyens auraient besoin de ce genre de rêves. Ou le maire – on ne sait pas très bien. Toujours est-il que la libération de Moussa, détenu sept mois au Bangladesh, pose d'autres questions auxquelles il m'est difficile de répondre. L'ONG dite islamique qui l'emploie est-elle soluble dans la démocratie ? Son dirigeant n'a-t-il pas une barbe trop proéminente ? Pourquoi refuse-t-il de serrer la main des femmes ? Ou de condamner plus fermement les activités de Daech ? D'où proviennent les fonds de l'association qui, paraît-il, parvient à lever de très grosses sommes en des temps records quand il s'agit de financer des forages en Afrique ou de distribuer repas et assistance sanitaire pour des réfugiés syriens en Turquie ? Patrice Bessac, l'édile de la ville, affirme que la campagne qu'il a mise en place pour Moussa il y a des mois n'est «pas une question d’étiquette politique ou de religion, mais de droits humains». Bien. Cela s'appelle du discours politicien, de la langue de bois, ce qu'on voudra, l'humain mis en avant permet surtout d'éviter les questions qui fâchent. Je suis bien entendu ravi que ce jeune homme, dont les premiers engagements militants tournaient autour de "la question Rom", ait recouvré la liberté. Et je n'irai pas lui demander combien de fois par jour il fait sa prière et ce qu'il pense de l'Etat islamique. Il se passe des choses bien plus gênantes au plus haut niveau de l'Etat. Ce qui m'embarrasse davantage, mais là encore, je ne connais pas bien le dossier étant immobilisé à la maison depuis une dizaine de jours et les médias encore en vacances, c'est la présence, lors de cette cérémonie de la ville pour la libération de notre héros, d'une centaine de Roms justement. Ils seraient, selon Droit au logement, une dizaine de familles, avec des enfants en bas-âge, d'autres plus grands et scolarisés à Montreuil, à dormir dans la rue depuis leur expulsion il y a une semaine. Au cours de mes quelques sorties, j'ai vu les flics de la ville et la police nationale les faire déguerpir d'un premier refuge – devant la mairie justement ! – puis d'un autre – autour de l'église puis devant le théâtre. Ils étaient donc là le soir de la fête en faveur «des droits humains» mais notre ami Bessac n'avait pas prévu de les mentionner dans son allocution, n'aime pas les improvisations et n'a donc pas eu un mot pour ces moins que rien que les flics ont encouragé à aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Aujourd'hui, la photo de Moussa a été décrochée et des tentes ont été distribuées aux familles de Roms auxquelles cependant n'ont toujours pas été proposées des solutions de relogement.
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187 000 €, c'est l'amende rondelette dont devra s'acquitter un restaurateur du Var qui avait fermé son établissement le 14 juillet dernier. C'est le GIE du centre commercial dans lequel est situé son resto qui lui inflige cette pénalité d'infraction à raison de 10€ par mètre carré et par tranche de cinq minutes, facturée mensuellement. "Sans aucune tolérance" est-il indiqué dans le courrier. Un bureau de tabac voisin s'en tire pour 72 000€ en raison d'une surface moindre. Le grand magasin Carrefour avait décidé d'ouvrir ce jour-là, les autres boutiques étaient tenues d'en faire autant selon les administrateurs du GIE. Ces méthodes me semblent s'apparenter à du racket et confirment surtout que le fameux débat autour du travail le dimanche (ou jours fériés) a vécu, l'économique primant plus que jamais sur le politique.
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Sur le philosophique aussi. C'est un ami qui me le suggère en m'envoyant la vidéo ci-dessous. On y voit un philosophe médiatique, du service public, mais aussi du privé – on ne va pas se gêner, le fric n'a pas d'odeur (un peu quand même, non ?) – faire l'apologie du travail le dimanche sur Radio Lagardère, le marchand d'avions militaires et de presse. Un argumentaire digne de la mauvaise foi d'un Pierre Gattaz, la finesse germanopratine en sus et le drapeau de la laïcité en écran de fumée.
Bien entendu, chez ces gens-là, pour faire le bêlatre sur les plateaux télé ou radio en récitant du Nietzsche, du Cioran ou du Deleuze, peu importe le jour de la semaine, on est prêt à bosser le dimanche ou les jours fériés, pourvu que les sunlights, la coiffeuse et la maquilleuse vous mette en valeur, que la rémunération soit à la hauteur de leur classe et que leurs bouquins se vendent dans la foulée. Une certaine idée de l'éthique qu'une caissière de Carrefour par exemple, payée au smic et soumise à la flexibilité des horaires et, partant, à une vie de famille compliquée, ne pourra jamais comprendre, cette idiote.
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