dimanche 14 avril 2024

Rêves clandestins

Inge Morath

 

 

Peu avant la tenue du Festival du livre de Paris, le ministère de la Culture a publié une étude sur le livre d'occasion reposant sur l'analyse de « panels de consommateurs », orchestrés par des sociétés privées. On y apprend que ce marché a connu une nette progression en comparaison avec celui des livres neufs imprimés, dont les prix ne cessent d'augmenter– sans parler de la qualité ou de l'intérêt de ces nouveautés. La lecture du rapport est interrompue par une sieste bienvenue. Je rêve de l'époque bénie de ma jeunesse durant laquelle, sans un rond, même pour me payer un livre d'occasion, je volais mes lectures dans une grande surface culturelle…
Au réveil, je survole la presse et découvre la dernière idée lumineuse de sa Majesté Jupiter, une contribution bientôt demandée
« aux acteurs de l'occasion » afin d'éviter nous dit-on que ce type de livre, notamment vendu sur les plateformes pourtant chères au président-philosophe de notre start-up nation en dépôt de bilan, finisse par contourner la réglementation sur le prix unique du livre.
En même temps, comme on dit, l'inénarrable ministre de la culture annonce la création expérimentale de bibliothèques dans les Habitations de longue maladie (HLM) et dans les zones rurales. Elle souhaite ainsi rendre le livre accessible aux jeunes gens instagrammés dans ces lieux dépourvus de librairies, de médiathèques, de boîtes à lire et de livres d'occasion… Selon une autre étude publiée ces jours-ci, la lecture serait considérée par les plus jeunes comme une activité d'une autre époque. « A quoi ça sert de lire puisque plus personne ne lit? », m'a récemment demandé sans rire une jeune fille de mon entourage.

 ***

L'autre jour, nous allons dîner chez un ami de mon amie. Et sommes confrontés, à peine la porte poussée, à un mur de livres, étagères optimisant, comme on dit, ce couloir scindant en deux le petit appartement : à gauche, un bureau, à droite, la cuisine ouverte sur une salle à manger, puis la chambre. J'avise le fauteuil dans lequel je vais pouvoir sans plus attendre me remettre de la raide ascension des cinq étages. Soudain mon regard est attiré par une étagère solitaire, entourée de photos de Catherine Deneuve comme il se doit. Peu de livres sur cette planche mais la quasi totalité de l'œuvre du singulier Robert Walser auquel j'ignorais que notre ami louait un culte. La photo du poète suisse complète le sanctuaire. Je fais part de ma stupéfaction. « Mon cher petit Robert mérite bien ça! », s'exclame l'ami de mon amie.

 


 

Rêvassant toujours, je déambulais hier, un carton de courses entre les pieds, sur ma machine à travers les rues du quartier déserté lorsque surgie de nulle part apparut sur le trottoir une jeune fille blonde en pantalon blanc plongée dans la lecture d'un livre. Un élan stupide me poussait à descendre du scooter et lui demander le nom de l'heureux élu qui parvenait à captiver à ce point son attention mais je me ravisais immédiatement. J'ai préféré poursuivre mes rêveries, imaginer que l'épais volume dans les mains de mon insolite fantôme s'avèrait être un roman de Dostoievski ou des nouvelles de Bukowski plutôt que le dernier opus feel good de Melissa Da Costa.

 

Non encore taxées– et bientôt clandestines?–, les boîtes à lire recèlent parfois des trésors, comme cette traduction d'Animal Farm de 1964, trouvée ce matin, que je ne connaissais pas et vais lire illico. Ne le dites à personne.

 

samedi 13 avril 2024

Coup bas

 

Imogen Cunningham

 

J'aimerais qu'on m'explique pourquoi tous les hommes avec qui je couche essaient de me sodomiser. Ça n'a jamais loupé, même si certains s'y prennent plus timidement, je n'y coupe pas, vient toujours un moment où je les sens faire une tentative. Qu'est-ce que ça veut dire ?! C'est symbolique, c'est ça ? J'ai une tête de fille qui se fait entuber ? qui se fait avoir ? Ou quoi, les hommes sont en fait tous des homosexuels refoulés ? Ou alors je les attire avec quelque chose qui m'échappe, des phéromones de la sodomie qui se dégageraient de moi comme un parfum irrésistible ? J'ai mené ma petite enquête auprès de mes copines, il y a des tas de mecs qui sont absolument pas intéressés par cette pratique, alors pourquoi moi, je tombe que sur des sodomites ? Je comprends pas ! Je suis même allée jusqu'à m'accroupir sur un miroir pour voir si j'avais un trou de balle de compétition, je sais pas, un anus d'une telle beauté qu'il donnerait une envie incoercible de s'y introduire. Sans avoir une grande expérience en la matière il m'a paru tout à fait normal. Tu sais quoi, demain, je vais me faire tatouer un N à peu près de la même taille que mon orifice sur chaque fesse. Comme ça, à l'avenir, dès qu'ils me prendront en levrette, les choses seront claires.

 

David Thomas, Le poids du monde est amour, J'ai lu

vendredi 12 avril 2024

En toute circonstance

Saul Leiter

 

Je suis la seule femme de l’escalier C. Ils sont cinq à partager avec moi cette partie de l’immeuble. Au premier, deux étudiants d’à peine vingt ans qui, à en juger par leurs tenues vestimentaires, font des études scientifiques, ou de la géographie, peut-être, c’est à leurs pulls que je vois ça, trop moches. Ils sont timides et ils doivent pas s’amuser souvent, ces deux-là. Moi, à vingt ans, j’emmerdais tout l’immeuble au moins une fois par semaine en ouvrant ma porte aux copains. Au troisième, au-dessus de chez moi, M. Goldstein, quatre-vingt-douze ans, qui ne sort pratiquement plus de chez lui et à qui je propose de temps en temps de faire quelques courses. Au quatrième, Paley, pas loin de la soixantaine, énorme bide et cheveux longs à la Léo Ferré, chez qui une femme très douce vient habiter quelques jours par mois. Et au cinquième Augustin Févron, la mi-trentaine, pas mal, sans plus, mais que j’essaierais bien. Lui, depuis cinq ans que je vis là, j’ai dû voir trois ou quatre fois une femme monter chez lui ; même s’il y en a qui m’ont échappé, ça fait pas bézef. Je sais que tous ces hommes me désirent, à leur façon de me regarder, d’engager la conversation, de s’attar­­der, de me demander si ça va. Ils sont tous très gentils avec moi, parfois, quand ils m’entendent descendre les escaliers avec mes talons, ils ralentissent ce qu’ils ont à faire dans le local à poubelles ou devant les boîtes aux lettres, ils ­m’attendent pour qu’on se croise et « Bonjour Lætitia, ça va ? Dites-moi, vous n’avez pas de problème avec l’inter­phone, vous ? Non, je dis ça parce que moi... » Quand je fais l’amour avec un homme chez moi, j’en rajoute un peu. Et l’été, il m’est arrivé souvent de me masturber la fenêtre ouverte et de les imaginer m’entendre, seuls, chez eux, jouir bruyamment. J’ai vingt-huit ans et je suis très jolie. C’est pas que je me la pète mais une belle jeune femme sait très bien les pensées qu’elle suscite chez un homme. Et ce que je provoque chez eux me touche. Même quand ils sont laids ou vieux. Surtout quand ils sont laids ou vieux. Mes voisins savent qu’ils ne coucheront jamais avec moi, mais je suis certaine qu’ils y pensent. Il ne me viendrait jamais à l’idée de descendre mes poubelles en espadrilles trouées et en vieux pull trop large. Ils font rarement l’amour, ces types-là, alors il faut pas les décevoir, il faut être fraîche et attirante en toute circonstance. Quand on sonne chez moi, je vérifie ma chevelure et me repasse un peu de rouge sur les lèvres, ça mange pas de pain et ça peut faire que plaisir. J’essaie toujours de leur donner de quoi rêver un peu à mes petits bonshommes.

 

David Thomas, Le poids du monde est amour, J'ai lu 12350, 6.90 €


mardi 9 avril 2024

Et puis, on se rappelle...

 



« Il est de ceux dont on ne parvient jamais tout à fait à se dire : “il est mort”. On les imagine en vacances, ou retirés en province. On décide de leur écrire, et puis on se rappelle... »

Ainsi parlait Jean-Claude Pirotte à propos d'Alexandre Vialatte. D'autres notes sur ses auteurs de chevet, et de nombreuses citations, ont été glanées dans le bureau-bibliothèque du poète belge par Sylvie Doizelet, romancière et compagne des dernières années, à qui nous devons déjà les merveilleux 5000 poèmes inédits parus en 2020, Je me transporte partout.

Pirotte s'entourait de ses livres préférés pour écrire. Et lorsqu'on s'en approche aujourd'hui, ceux-ci, paraît-il, s'ouvrent comme par magie aux pages marqués par des signets. Concocté par Sylvie Doizelet et publié par les éditions de La Grange-Batelière – dont la rue nous est familière, mais c'est une autre histoire...–, un curieux petit recueil de ces divers textes sera disponible sous peu dans les bonnes boutiques sous le titre éloquent de Pas le temps de prendre la poussière (12€)

« Chacun des fragments est un morceau de Jean-Claude Pirotte », nous dit-on. L'occasion de croiser Calet, Jacob, Michaux, Follain, Larbaud, Guilloux, Delteil, Cayrol... et de boire un coup à la mémoire de tous ces illustres et irremplaçables poètes.

lundi 8 avril 2024

Des pierres

Pierre Jahan


 
 
 
J'aurais dû courir
Ne pas voir un seul visage longtemps.
Et j'étais l'herbe aux pieds des monstres
Et je vois que c'étaient des pierres
Qui continuent à rire sous la poussière.
Et moi, je suis chassé, aminci,
Je sens le sable du malheur.
Comme un couteau de lumière
Je m'en vais trancher tout seul la nuit.

 

Pierre Morhange, La Vie est unique, Gallimard, 1933

samedi 6 avril 2024

Projection privée


Gilles D'Elia

 

Je viens de terminer l'écriture de mon propre biopic. Certes, l'intrigue assez mince tient dans une boîte d'allumettes humide, mais le scénario d'une durée de trois heures trente précises – pas une seconde de moins–, au rythme fréné  et au budget somme toute modeste offre pléthore d'erratiques digressions non-poétiques et encore moins philosophiques. L'insoutenable dénouement sans orchestre clouera à jamais, j'en suis persuadé, le spectateur sur son siège. Reste à trouver l'interprète principal. D'un charisme contestable et d'une voix à peine audible, le comédien devra relever le défi de passer inaperçu tout le long du film. Les producteurs les plus militants et puissants se bousculent déjà.

 

charles brun, cauchemar de gloire

jeudi 21 mars 2024

L'origine des larmes

Jean Dieuzaide

 

 

Qui que nous soyons, quelle que soit notre place en ce monde, nous portons en nous trop de choses douloureuses ou déshonorantes. En silence, elles nous embarrassent et, un jour, elles nous trahissent.

 

Jean-Paul Dubois, L’origine des larmes, L'Olivier, 2024

mardi 19 mars 2024

Bourrasques

 

John Bulmer

 

Et parfois, la vie nous offre quelque consolation. Comme L'Origine des larmes, le nouveau roman de l'ami Jean-Paul Dubois sur lequel nous venons de nous précipiter et dont voici l'incipit.

Il pleut tellement. Et depuis tant de temps. Des averses irréversibles qui semblent surgir de partout, la nuit comme le jour. Parfois une accalmie laisse entrevoir une parcelle du ciel d’autrefois, bleu lavé, mais très vite assombri par de sombres vagues de nimbocumulus. Cela fait deux années que le temps s’est graduellement détrempé, transformant cette ville de briques sèches en une vallée lessivée par un régime de pluies. Tantôt ce sont de brusques et violentes tempêtes qui décoiffent les toits, tantôt de longues et patientes averses épuisent les arbres et font enfler les fleuves. La punition des eaux épure les rues, accable les charpentes et habite nos vies.

Je suis à la maison, devant la fenêtre de mon bureau, et je regarde les bourrasques qui bousculent les arbres. Cela fait des années que je n’ai pas ressenti autant de calme au fond de moi. Je sais que ces instants sont précieux car ils ne reviendront pas avant longtemps. Après ce que j’ai fait, et cela me surprend à peine, je n’éprouve pas de regret ni d’angoisse. En dépit du déluge, je suis apaisé, comme un homme fatigué qui a fini sa journée. Je sais que l’on va bientôt venir me chercher et m’interroger. Je suis là, prêt à dire ce qui doit l’être. Je ne redoute rien de ce qui vient. J’attends et je profite humblement de cette pluie robuste et têtue qui détrempe nos vies.

 

 Jean-Paul Dubois, L'origine des larmes,
éd. L'olivier, 2024

jeudi 14 mars 2024

Sois gentil

Angelique Hagenaar


— Je vais te dire ce qui va se passer. Je vais faire valser mes fringues et te pousser sur le lit pour te bouffer ta BITE DE PETIT CHIEN LUBRIQUE et toi, tu en redemanderas petit SALOPIAUD, tu hurleras ta mère OH OUI, SUCE-MOI JUQU'A LA MOELLE. Ensuite, je vais m'asseoir sur tes lèvres, et empoigner tes cheveux pour que tu t'écrases le nez sur ma CHATTE, t'aimes ça ? Hein? TU L'AIMES MA CHATTE? HEIN? PETIT CLÉBARD, VAS-Y, BOUFFE-LA-MOI SALOPARD! Après, je ferai un petit saut de cabris pour m'empaler sur ton braquemart. JE VAIS TE VIDER LES COUILLES POUR UN MOIS, TU VAS TOUT ME DONNER, ESPÈCE D'ENCULÉ, JE VAIS TE DÉMONTER JUSQU'À PLUS SAVOIR QUI T'ES! Je te donnerai une bonne avoine pour que tu comprennes bien que c'est moi qui mène les affaires. Je ralentirai un peu, je me dégagerai complètement pour que ton gourmi devienne un petit animal éploré, tu me diras VAS-Y, REVIENS JE T'EN SUPPLIE, OH OUI, DÉFONCE-MOI. Je calmerai les assauts du 4e de cavalerie, et puis, hop, ça repartira par un petit coup de pelleteuse. Et à nouveau, se dégager de toi, pour que ça devienne insupportable, une torture, T'EN PEUX PLUS, MON SALAUD, HEIN?! T'ES AU BORD DE L'EXPLOSION, HEIN?! TU VEUX TOUT DONNER, HEIN?! Après ça, je te renverserai dans le lit tel un Zarak des grands soirs pour que tu te retrouves en missionnaire au-dessus de moi en te cravachant les fesses et que tu me donnes TOUTE TA GICLÉE DE FOUTRE SUR LA CHATTE ET LE VENTRE!!



Voilà, tu vois, moi aussi, je peux parler comme dans un film porno. Regarde, ça ne te fait même pas bander. Alors, sois gentil, arrête de m'emmerder avec cette histoire de se dire des trucs crus pendant qu'on baise.

 

 

 David Thomas, Partout les autres, Points


mardi 12 mars 2024

Corazón loco

Daniel Kramer

 

il se souvient soudain
de cette chanson
du jeune robert zimmerman
pas le titre mais
peu importe
tous ses vieux 33 tours
il les a un jour
de déménagement
balancés

il disait le sang qui se fond
dans la boue
voir à travers les eaux
qui s'écoulent dans nos égouts
and I hope that you die
and your death'll come soon

les temps ont changé

à cette époque
nous brocardions
les chansons sentimentales

à travers le mur de la cuisine
lui parviennent les vocalises
de sa voisine
les notes d'un piano
mal accordé

il aimerait simplement
en cet après-midi de pluie
avant les chambardements
annoncés
entendre une dernière fois
les boléros d'avant-guerre
que sa mère chantait
et dont enfant il riait

 

 charles brun, sin remedios

 

vendredi 8 mars 2024

Je vais dormir

Jorge Aguirre

 

 

 

Dents de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbes, toi, tendre nourrice,
prépare-moi les draps de terre
et l’édredon de mousses rougeâtres.

Je vais dormir, ma nourrice, couche-moi.
Place une lampe à mon chevet ;
une constellation ; celle qui te plaira ;
toutes sont idéales ; là un peu plus bas.

Laisse-moi seule : entends les pousses se briser...
un pied céleste te berce d’en haut
et un oiseau te donne la cadence

pour que tu oublies... Merci… Ah, veux-tu :
s’il téléphone une nouvelle fois
dis-lui de ne pas insister, que je suis sortie…


Alfonsina Storni, "Je vais dormir", in Les Cendres,
trad. Béatrice Pépin, éd. Tango Girafe


jeudi 29 février 2024

Une dernière pour la route

Gilles D'Elia


Vous en reprenez une ? — c'est moi qui régale, ça me fait plaisir. Vraiment. On ne va pas se mentir, hein, ça fait du bien... Vous savez, on boit parce qu’on a soif, certes, mais aussi parce que c’est agréable. L’alcool — comme les bars, enfin, certains... ça a tendance à être moins vrai aujourd'hui, mais bon... L'alcool, c'est un plaisir. On a tendance à l'oublier. Ils passent leur temps à nous infantiliser, à nous culpabiliser. Le cancer, le diabète, les maladies cardio-vasculaires, tout ça. Oui, d'accord, mais vous faites quoi du plaisir? On n'y a plus droit? Ça non plus, on n'y a plus droit? Il nous reste quoi, alors? Les séries Netflix, comme dit l'autre troudukukorompu ? Faudrait rester à jeun pour mieux écouter leurs balivernes? L'hédonisme, je vous dis, c'est primordial. Vous retrouvez ça chez les penseurs chinois de je ne sais plus quelle ère, leurs poètes... — Li Po, si je me rappelle bien. Un truc comme ça. La recherche du plaisir, ça nous concerne tous, non ? Eh bien, mon plaisir, à moi, ça passe par le titillement des papilles gustatives, la chaleur de l’œsophage, la stupéfaction de l’estomac, comme disait l'autre. Et le plaisir est d'autant plus intense qu'il est partagé... On veut nous mettre tous devant un écran, à avaler ce qui, dit-on, nous correspond et ne correspond pas forcément avec le type assis à nos côtés dans le métro. Résultat, on ne se parle plus. Les écouteurs, vous avez vu, tous ces gens avec des casques, des trucs dans les oreilles, sans fil, croient-ils, avec leur musique, leurs salades, les applis, instagram, toute cette merde?... Ah, je n'en peux plus, de ce monde. Ça ressemble à quoi? Qu'est-ce qu'on leur propose aux jeunes générations ? Et ces cons, ils voudraient qu'ils aient envie de se reproduire? Allez, réarmons-nous! Mais enfin, c'est une blague! Nos jeunes sont pour moitié en dépression, sous psychotropes! Ou totalement analphabêtes... Leur idole, c'est le Rital du RN qui parade en string léopard sur les réseaux homos suivi de près par le beau représentant de l'intelligence artificielle qui nous sert de Premier ministre, le roquet quête, clone de l'illuminé de l'Elysée... Vous avez vu ce sondage? Ils veulent nous faire croire ça, vraiment? Buvons! Une dernière? C'est pour moi, pas de gêne entre nous. Tant que c'est pas interdit par ces ploutocrates allumés… Tu as vu tous ces ministres, secrétaires d'état, conseillers, mis en examen, en procès, blanchis bien entendu, comme la poudre qu'ils inhalent à longueur de journée, je n'invente rien, tu le sais, ces faux défenseurs des valeurs de la démocratie, qui n'ont pour valeurs que leurs propres intérêts et ceux de leur caste d'intouchables, qui ne valorisent que l'enrichissement personnel, ces vrais nihilistes larbins du réel pouvoir, celui de la finance, des comment qu'ils disent, les Gafa, je ne sais quoi, ces vrais dirigeants de nos vies, c'est à vomir et à se noyer dans ses déjections vite un soir de cuite… C'est aussi répugnant que de les entendre à longueur de journée, eux et leurs sbires, présents H24, comme disent les jeunes, sur les plateaux TV, faux spécialistes, pseudo-philosophes de mes deux, psychopathes pédophiles ahurissants et étourdissants, pardon, je divague?, des mafieux malfaiteurs infâmes, qui mènent une guerre de classes, tu le sais, n'est-ce pas ?, ils savent qu'il n'y a plus de lendemain, et pillent tout ce qu'ils peuvent, nous enfoncent toujours un peu plus. L'Etat, ce n'est pas que ces médiocres experts de tableaux Excel le détuisent, ils en ont besoin, mais débarassé de services publics, un Etat qui tient avec nos impôts qui servent, croit-on, à financer le bien commun chaque jour un peu plus démuni, un peu plus spolié. Non, tu le vois bien, aussi éborgné que tu sois, l'Etat, nos sous, ne servent plus qu'à payer leur train de vie, leurs costards à dix mille boules, leur police, leurs blindés, leurs matraques, leurs LBD. Nous payons pour nous faire tabasser, gazer, mutiler à la moindre contestation, à la moindre manif. Tant que ça tient et qu'ils nous font croire que l'ordre importe plus que tout, que les gens qui ne sont rien, toujours plus nombreux, ne sont que des assistés, qui coûtent un pognon de dingues, des chômeurs traqués, surveillés, contrôlés, qu'il faut remettre au plus vite au travail. La propagande est quotidienne, ça marche plutôt bien, dans les médias qu'ils contrôlent désormais en très grande partie, grâce aux journalistes d'accompagnement, leurs éditocrates écervelés, les vulgaires animateurs hagards de came et payés des fortunes… Et désormais, maintenant que tout est dévasté, ces complices de génocide veulent la guerre, comme au bon vieux temps, pour défendre nos prétendues valeurs européennes et démocratiques, celles prônées par Ursula, leur hyène teutonne, élue par ses pairs… Il faut sauver le petit soldat Zelensky qui a sacrifié tout un peuple tout en planquant son blé dans les paradis fiscaux… Vous avez vu la flambée de l'immobilier en Ukraine ? La reconstruction est en route! Plus le pays sera détruit, plus il sera rentable, déjà vendu aux mafias occidentales contrôlées par nos young leaders à la botte de Washington, ceux-là mêmes qui ne veulent pas entendre parler de Julian Assange qui croupit derrière les barreaux pour avoir dénoncé et prouvé leurs turpitudes et leurs crimes, que l'on va condamner tranquillement et démocratiquement à 175 ans d'emprisonnement... Une nouvelle petite guerre pour se refaire la cerise, avant la suivante, la plus grande, la plus belle, la dernière contre la Chine, l'Inde, l'Iran et tous ces terrifiants régimes… L'avenir est obscur, mais ne perdez pas espoir, vous aussi vous pouvez demain devenir le nouveau Jean Moulin, le nouveau Manouchian, avoir droit aux honneurs de la panthéonisation, applaudi par ceux-là mêmes que vous aurez combattu… C'est pas beau, la vie ? Pardon, quand je suis parti, je peux être bien plus soulant que ce qu'on avale ici. Je suis le premier à être fatigué par mon déconophone. Une dernière pour la route?

 

 



mardi 27 février 2024

Extraits d'insomnie

Anton Bruehl

 

Les Poèmes

Ce sont des extraits d'insomnies,
C'est le noir des bougies tordues,
C'est au matin le premier son
De blancs carillons par centaines...
C'est la tiédeur d'un appui de fenêtre
Sous la lune de Tchernigov,
Ce sont des abeilles, c'est un mélilot,
C'est la poussière, et l'ombre et la touffeur. 



Anna Akhmatova,
trad. Jean-Louis Backès
in Requiem, Poème sans héros et autres poèmes
Poésie/Gallimard


samedi 17 février 2024

Parfois

Juan Rulfo



Parfois nous rêvons de jeunes femmes brunes un peu folles avec lesquelles il serait bon d’écouter Coltrane et Ornette Coleman jusqu’à des heures impossibles du petit matin le jour se lèverait sur des taffetas des brocarts des étoles — mais que ceci ne laisse pas supposer je ne sais quelle déliquescence nocturne — nous aurions fait l’amour selon les règles ancestrales avec quelque peu de perversité froide voire de distanciation je ne veux pas que vous m’aimiez me direz-vous vous deviendriez mon semblable Pareils à des gisants, non des cadavres, non deux bêtes accouplées le chiffre de vos lèvres sur mes hanches tel le carmin de vos ongles et de mon sang qui éclatera à midi.

 

 Franck Venaille, "Eloge de Robert Desnos"
in Avant l’Escaut, Poésies & Proses, 1966-1989,
éd. L'Atelier contemporain, 2023

 

jeudi 15 février 2024

Je m'en vais

Elliott Erwitt

Mes outils d'artisan
sont vieux comme le monde
vous les connaissez
Je les prends devant vous :
verbes adverbes participes
pronoms substantifs adjectifs.

Ils ont su ils savent toujours
peser sur les choses
sur les volontés
éloigner ou rapprocher
réunir séparer
fondre ce qui est pour qu'en transparence
dans cette épaisseur
soient espérés ou redoutés
ce qui n'est pas, ce qui n'est pas encore,
ce qui est tout, ce qui n'est rien.
ce qui n'est plus.

Je les pose sur la table
Ils parlent tout seuls je m'en vais.

 

 

Jean Tardieu, Formeries, Gallimard

mardi 13 février 2024

Des nouvelles du fou sans folie


Jacques Sassier

Les archives de Cioran sont, semble-t-il, un trésor inépuisable et, à coup sûr, inestimable pour tous les dangereux fanatiques du fou sans folie roumain. En attendantcombien de temps encore?! la publication de la suite de ses Cahiers, Gallimard nous livre aujourd'hui une sélection de sa correspondance. Quelques cent soixante lettres, la plupart inédites, écrites entre 1930 et 1991, et adressées à sa famille, ses amis, des proches, mais aussi des lecteurs. Sans oublier celle qu'il surnommait la «Tzigane», et dont il s'était épris à plus de 70 balais... En ouverture, on relira non sans plaisir un texte qui donne le titre au recueil et que la NRF avait publié dans un numéro de 1993 et dont voici un extrait.

Ayant eu la chance de n’avoir jamais pratiqué un métier ni travaillé à des livres sérieux, j’ai disposé à travers les années d’énormément de temps, faveur réservée, en principe, aux clochards et aux femmes. Des clochards, il y en a de plus en plus mais ils ne daignent pas écrire ; quant aux femmes, elles vont maintenant au bureau, enfer idiotisant. La lettre comme genre est menacée, car ce sont elles qui y excellaient. On n’imagine pas aujourd’hui une Mme du Deffand, sinon la plus grande, assurément la plus profonde des épistolières (…) j’ai écrit un nombre considérable de lettres. Pour la plupart, elles se sont perdues, celles de ma jeunesse surtout. Si je le déplore, ce n’est pas parce qu’elles avaient la moindre valeur objective mais parce que c’est seulement par elles que j’aurais pu retrouver celui que j’étais avant mon arrivée en France, à l’âge de vingt-six ans. L’unique moyen de reconstituer ce personnage me faisant défaut, je n’en conserve plus qu’une image abstraite. J’habitais une ville de province d’où j’écrivais à une amie de Bucarest, actrice et… métaphysicienne, de longues lettres sur ma condition de fou sans folie, qui est bien l’état de quiconque est déserté par le sommeil. Eh bien, elle devait me raconter, il y a quelques années, qu’elle avait jeté au feu, par une frousse très peu métaphysique, mes élucubrations épistolaires. Ainsi disparaissait le seul document capital sur mes années infernales (...)

 

Cioran, Manie épistolaire. Lettres choisies,1930-1991
édition et traductions de Nicolas Cavaillès,
Gallimard, 2024

 

 

A noter que De la France et Des larmes et des saints viennent d'être réédités chez L'Herne.


mercredi 7 février 2024

Condamnés

George Rinhart

Je vous condamne à chier le matin et le soir
en lisant des journaux périmés et des romans amers
je vous condamne à chier remords et mélancolie
et douces et jaunes tombées de la nuit.

Je vous condamne à chier en corset et en chemise
dans vos maisons pleines de bicyclettes et de canaris
avec vos paires de fesses chaudes et bleuies
et vos lamentables cœurs à crédit.

D’un monde effondré s’échappent des choses sinistres :
des engins mécaniques et des chiens sans museau,
des ambassadeurs gros comme des roses,
des bureaux de tabacs noircis et des cinémas en ruines.

Moi je vous condamne à la nuit des dortoirs
à peine interrompue par des irrigateurs et des rêves,
des rêves comme des eucalyptus aux mille feuilles
et des racines imprégnées d’urine et de mousse.
 
Ne me laissez pas toucher à vos eaux sédentaires
ni à vos intestinales réclamations, ni à vos religions,
ni à vos photographies accrochées à la hâte
:
parce que moi j’ai des flammes dans les doigts,
et des larmes d’infortune dans le cœur,
et des pavots moribonds nichent dans ma bouche
semblables à des dépôts de sang infranchissable.
Je hais vos grands-mères et vos mouches,
je hais vos déjeuners et vos rêveries,
et vos poètes qui chantent «la douce épouse»
et «les bonheurs du bourg»:
en vérité vous méritez bien vos poètes et vos pianos
et vos irritants démêlés à quatre pattes.
 
Laissez-moi seul avec mon sang pur,
avec mes doigts et mon âme,
et mes sanglots solitaires, obscurs comme des tunnels.
Laissez-moi le royaume des longues vagues.
Laissez-moi un vaisseau vert et un miroir.


 

Pablo Neruda, "Sévérité",
trad. Waldo Rojas, Stéphanie Decante
in, Résider sur la terre,
Quarto, éd. Gallimard, 2023

samedi 20 janvier 2024

Notre besoin de consolation

Ruth Orkin

Il y eut un grand déballage.
Les mots volaient — pierres lancées contre les fenêtres.
Elle hurlait et hurlait encore, comme l’Ange du Jugement.

Puis le soleil surgit et le sillage d'un avion
parut dans le ciel matinal.
Dans le silence soudain, la petite chambre
s'emplit d'une étrange solitude, tandis qu’il lui séchait ses larmes.
Elle devint semblable à toutes les autres petites chambres de la Terre
où la lumière a du mal à pénétrer.

Des chambres où les gens hurlent et se blessent l'un l'autre.
Et ressentent après coup douleur, et solitude.
Incertitude. Le besoin de consolation.

 

Raymond Carver, in La vitesse foudroyante du passé,
trad. Emmanuel moses,
revue par J.P. Carasso et E. Solminihac,
Poésie, éd. de l'Olivier


mardi 9 janvier 2024

Sans elle

 

Michel Thersiquel

 

Sans la littérature, on ne saurait ce que pense un homme quand il est seul.

Georges Perros, Papiers collés, Gallimard

mardi 2 janvier 2024

Le monde m'appartenait

 

Daido Moriyama


 

elle œuvrait dans un parking
gardé par un vigile braque
du côté de la porte de versailles
après vingt heures

les tarifs étaient abordables et
elle acceptait 
les chèques

j'avais repéré sur le site plusieurs
de ses annonces
il y en avait pour tous les goûts
les affaires carburaient
seul le kilométrage différait

nous avions échangé

comme on dit
par messagerie
puis au téléphone
un accent à couper à la machette
peu sensuel
engageant
à peine identifiable
elle n'avait pas menti sur
la marchandise
les modèles disponibles
une dizaine
toutes des italiennes
se dressaient le long du mur
telles des chansons du passé

celle que j'avais réservée
parmi elles m'attendait 
elle me reconnaissait
les sens chamadés
sur le point de réaliser un
fantasme d'ado
attardé
je m'approchai yeux fermés
le pas mal assuré
effleurait du bout des gants
ma princesse de
cinémascope noir et blanc
la pris enfin
en mains
la faisant tournoyer
sous les néons épuisés
du deuxième sous-sol
 
nous allions bien nous amuser
 
réglée je filai sur son dos
dans la nuit froide
lumineuse et prometteuse
de paris

quai de montebello je m'excluai
sans excuses
d'une atalante de pacotille
de son
bal plein de bulles
et d'ennui
heureux je la retrouvais 
telle que je la rêvais 
encore

au carrefour derrière la fac
où j'appris jadis l'anglais
un jeune sujet de la reine en goguette
justement
légèrement ivre 
ou complètement distrait
ignora forcément
les signaux du sémaphore
lancés à sa droite
et fonça sur nous la conscience 
en roue libre

brutale esquive 
suscitée par la surprise
d'un coup nous
goûtions le goudron

sonné à terre 
en colère contre
la gravité de ma légèreté
j'avisais une voiture à visières
stationnée sur le pont
50 mètres en amont
un agent s'agitait
déjà vers nous
notre galopade fantastique
prenait mauvaise tournure
— emporté
impatient
j'avais fait l'impasse
sur les formalités
étais bon pour les emmerdes

je pris lâchement le fonctionnaire à témoin
le feu non respecté et nos vies en danger
l'ahuri albion se faisait encore plus petit
qu'il n'était
et perfide comme il se doit convoquait sa mère 
résidente parisienne
larmoyait sa première fois au volant
de ce côté du channel
et une conduite naturellement maladroite
un permis tout frais
dont il n'avait pour le moment
qu'une pale attestation
il en faisait des kilos
 
le flic fatigué
exaspéré
découragé à l'idée
d'embarquer des étrangers
proposa de nous arranger
entre nous 
à la bonne franquette
sans constat ni tracas
le bon dieu nous reconnaîtra
 
le lendemain
à l'heure doutée
je retrouvais le
niais anglais
sa convenue et rondelette indemnisation 
qui finalement couvrirait à peine
de nécessaires réparations
et révisions

mais la vie sépare ceux qui s'aiment et
après une ou deux alertes
notre idylle en ville
fut foudroyée à quelques encablures
de la porte d'italie
peu avant vingt heures
plus rien
une histoire sans lendemain
de faisceau électrique
homologation
trafic
piège à cons

c'en était fini de la fête

par une nuit froide
dans la peau d'un amoureux
transi
trahi
traduit devant les tribunaux
j'ai rendu l'animale à l'italienne
avec l'aide d'un ami roumain clandestin
de mon frère
et de sa bringuebalante estafette

sous de transalpines
insultes à ma virilità
et autres épithètes de volatiles
néanmoins exécrables
je récupérais mon chèque
que
dans un grand geste

fabuleusement grotesque
je déchirais à ses pieds

le monde m'appartenait

souffrir ne sert à rien
une semaine plus tard
lendemain de mon anniversaire
sans doute
dans les vapeurs de la pistache
je revenais quelques pages
en arrière
dealais avec ma banquière
et replongeais à mort
en enfance
et à crédit

 

charles brun, comédie à l'italienne

vendredi 29 décembre 2023

L'être et le néant


Robert Doisneau



Et puis, merde ! Le soir, quand j'avais des ronds en poche, je m'offrais le Chabanais ou le One Two Two. Il y avait dans ces maisons un potentiel de sensualité qui écartait toute considération métaphysique, ne fut-ce que par le droit de choisir. Pas choisir entre l'être et le néant, mais entre Manon Main Douce et Sylvie la Rémoise.

 

André Hardellet

mardi 26 décembre 2023

Le piège

Luc M.

Nous découvrons parfois que tels seins n’appartiennent pas à la tête de celle qui les porte… Le désaccord et le trouble que produiront ces seins leur attacheront à jamais celui qu’ils auront captivé.

 

Ramón Gómez de la Serna, Seins,
trad. Jean Cassou, ed. Casimiro


mercredi 20 décembre 2023

Pleins

Vanina Kovalsky

 

Il y a des seins pleins de calme. Il y a des seins pleins de douleur. Il y a des seins pleins de passion. Il y a des seins pleins de divorce. Il y a des seins pleins de calamités. Il y a des seins pleins de poison. Il y a des seins pleins d'énervement. Il y a des seins pleins de larmes. Il y a des seins pleins de nuit. Il y a des seins pleins de surprises. Il y a des seins pleins de charité. Il y a des seins pleins d'adultère. Il y a des seins pleins d'or amassé. Il y a des seins pleins d’hypocrisie. Il y a des seins pleins de compote de pommes. Il y a des seins pleins de cuistrerie. Il y a des seins pleins de médailles de la Vierge. Il y a des seins pleins de petite monnaie. Il y a des seins pleins de noirceur sous leur blancheur, apparente. Il y a des seins pleins d’air comme des ballons.

 

Ramón Gómez de la Serna, Seins,
trad. Jean Cassou, ed. Casimiro

samedi 16 décembre 2023

Quel mal y a-t-il à ça ?

Michael Ochs


 

Les gens mieux lotis que nous étaient à l’aise
Ils habitaient des maisons peintes avec W.C. et chasse d’eau
Avaient des voitures dont l’année et la marque étaient reconnaissables.
Moins bien lotis que nous, c’étaient de pauvres gens sans travail.
Leurs bagnoles bizarres étaient sur cales dans des cours poussiéreuses.
Les années passent, tout – et tout un chacun

est remplacé. Mais une chose est restée vraie

je n’ai jamais aimé le travail. Mon but a toujours été
de glander.
Je voyais ce que ça avait de méritoire.
J’aimais l’idée d’être assis dans un fauteuil
devant chez soi pendant des heures, sans rien faire d’autre que porter chapeau en buvant du Coca.
Quel mal y a-t-il à ça
?
On tire sur une cigarette de temps en temps.
On crache. On sculpte des trucs en bois avec un couteau.
Ça fait du tort à qui
? De temps à autre, on appelle les chiens
pour chasser le lapin. Essayez voir une fois.

De loin en loin saluer un gros môme blond comme moi
en disant, «
Je te connais, non?»
Et pas,
«Qu’est-ce qu’on fera de toi quand tu seras grand?»



Raymond Carver, "Glander", in Poésie
(
La Vitesse foudroyante du passé),
trad. Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso, Emmanuel Moses,
ed. de L'Olivier


jeudi 14 décembre 2023

Fantômes de l'automne



En août dernier, me dit-on, Georges Poulot, dit Perros, aurait eu cent ans. Quelle idée...
Les éditions Finitude sautent tout de même sur l'occasion pour réimprimer J’habite près de mon silence, recueil d'une vingtaine de poèmes discrètement publiés en leur temps par ci, par là et ailleurs.

 

Isolé non Seul oui Mais encor
puisque rien n'est simple en urgence
l'amitié en moi sonne du cor
et hurle de temps en temps vengeance.

 

***

 

Qui te connaît Georges Perros
Nul au monde ni moi ni vous
Toi peut-être fille aux seins roux
Prêtresse de ce vieil Eros
Je ne sus que te caresser
Alors qu’intense amour à faire
Qu’es-tu devenue ô beauté
Dont je perçus mal le mystère
Qu’est-il devenu ton cher corps
Terreux, dansant avec les morts
L’horrible, l’éternel quadrille
Où es-tu folle jeune fille
Folle d’aimer qui ne sait pas
Être aimé autrement qu’en rêve
Non plus aimer sinon trop brève
La férocité d’un désir
Moins à vivre hélas qu’à mourir. 

Si je te rencontrais demain
Tu me verrais main dans leurs mains
À ces enfants que je fis naître
Tu me dirais bonjour peut-être
— Je l’ai vu quelque part mais où
Cet homme près de la vieillesse
Avec ce regard un peu flou
Mais quand mon Dieu mais où était-ce ? 

 

***

J’habite près de mon silence
à deux pas du puits et les mots
morts d'amour doutant que je pense
y viennent boire en gros sabots
comme fantômes de l'automne
mais toute la mèche est à vendre
il est tari le puits, tari.

 

 
Georges Perros, J’habite près de mon silence,
éd. Finitude, 13 euros