vendredi 20 juin 2025

L'acharné

Otto Haeckel




LA VILLE SE CACHAIT

La ville se cachait comme un port en exil
Une rumeur échouée à l’intérieur des terres
Qui oubliait la mer

La ville se gonflait de sa chanson futile
Que restait-il ?
Se souvenir n’est pas facile

Les femmes arrangeaient leurs guirlandes
Coquetteries d’anges louches aux balcons de dentelles
Aux jupons en nacelles
Les femmes ébruitaient leurs légendes
Qui tenait les chandelles ?
Se souvenir parfois vous ensorcelle

Des galoches sonnaient un dru refrain d’Irlande
Des fados de Portugal
Vous serraient la gorge 
Comme une écharpe soyeuse
Prise dans la roue implacable du destin
Des tangos, des femmes fatales,
Plus ou moins
Jouaient leur partition de corrida
Et Le Temps des cerises,
- Juste le premier couplet,
Bien saignant s’il vous plaît !-
Redressait les cœurs

D’autres gourmandises
Agitaient leurs grelots :
Hidalgos, femmes frugales,
Plus ou moins
Des danseuses sans taille, des lianes, des fusains
Même les lourds, les ours, les balourds
Laissaient traîner
Des grâces d’elfes dans leurs mains

La ville, comme un phoque essoufflé, roulait sur son dos
« Plaisir d’offrir, joie de recevoir,
À toi d’ouvrir, à toi de voir ! »
Se souvenir, est-ce un cadeau ?

Des fantômes se perchaient sur le dos des nouveaux venus
Certains se camouflaient, d’autres restaient nus

Qu’une ville appareille, ça ne s’est jamais vu
Il n’y a plus d’inconnus
Au bal des revenus

Qu’une ville appareille
On ne l’oublierait plus

Se souvenir…

À force de mémoire, on ne reviendra plus


***
 
PLEIN SUD

Et puis j’irai plein SUD
le soleil brisera
mon ombre malhabile
et le vent dénouera
mes muscles fatigués

Je serai dénudé
comme un oiseau malade
mais si tranquille enfin

Une pierre posée
dans le milieu des sables
une pierre nichée
dont les dunes un peu rêches
mais sans haine et sans hâte
ne garderont qu’un grain

Puis je ferai mon tour
sans avoir froid ni faim
ni le manque de celles
qui m’ont toujours manqué

Roulant mon tour de terre
je pourrai me laver
me déprendre des peines
et de mes mauvais sangs

Dans le tamis du vent
je serai chanson douce
rime tendre qui crisse
fantôme minuscule
sans remord ni regret
insouciant inutile
et plus triste jamais 

***

HÔTEL DU PORT

La pierre
Contre la mer
L’homme
Aux pieds de l’hiver
Et face contre mer
Tandis qu’au bout du quai
Roule la rouge chanson d’un accordéon

Les yeux fermés d’un homme au bras d’une pendue
Le cri d’un oiseau mort
Qu’ils n’ont pas entendu
Et la grève au ressac près des villes endormies

Hôtel du port
Entre les mâts des grues

 

 


L'ami Jérôme Soufflet, comédien et auteur, vient de publier ce bien nommé recueil aux toutes nouvelles éditions Les Grands singes (tiens...), fondées par Jérôme Pauchard, lequel s'associe pour la circonstance à Gustavo Bocaz et son Escalier-Espace d'art. 
Quatre autres titres accompagnent la naissance de la maison, invitée au Marché de la poésie, stand 620, Place Saint-Sulpice (Paris), jusqu'à dimanche prochain. Des lectures s'y tiennent, me dit-on. 
Une rencontre-lecture avec les cinq auteurs est programmée vendredi 27 juin, à 19h00, chez Gustavo Bocaz : Escalier-Espace d'Art - 104-106, rue Edouard Vaillant, 93100 Montreuil. A priori, on y sera, c'est à deux pas de chez ma mère.


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