samedi 11 juillet 2020

L'aube est encore loin

Le maréchal arrête un moment le magnétophone et écrase sa Bastos. Il se lève avec une rapidité qui ne surprend pas chez un homme aussi sec. Il longe le grand bureau, passe dans le hall.
Le Nègre et le Blanc qui ont tué Butron sont repartis, mais il y a trois hommes, à demi somnolents sur des chaises, dans le hall, le chapeau mou rabattu sur les yeux, à la cow-boy paresseux. Deux ont des Sten de fabrication yougoslave et le troisième une Schmeisser. Le maréchal leur fait un sourire débonnaire et bref et enfile l'escalier courbe qui mène au premier étage de la villa.
Il entre doucement dans la chambre de Josyane. Elle dort.
C'est une petite jeune fille, presque une enfant, mais elle connaît des tas de trucs. Elle est allongée sur le ventre. Comme il fait chaud, elle s'est découverte jusqu'au milieu du dos. Elle constitue ainsi un très chaste spectacle, légèrement excitant tout de même. 
Une bouteille de fine champagne vide est par terre à côté du lit, et Josyane ronfle légèrement. Elle a encore bu, pense Georges Clémenceau Oufiri, avec un rien d'agacement.
Il allume une Bastos sur le pas de la porte. L'écoute de la bande magnétique, il y a un instant, l'a sexuellement excité. Il régit pour rien. Il est fier de sa virilité. Mais maintenant, après avoir monté l'escalier en réfléchissant à toute sorte de choses, car il a également une grande activité mentale, le petit frisson qui est à l'origine de son ascension lui a échappé. Il ne pense plus qu'aux efforts trop grands qu'il faudrait pour tirer Josyane de sa somnolence alcoolique, et à tout le travail pour la faire jouir pour de bon. 
Il se contente de fumer sa Bastos sur le pas de la porte en regardant les cheveux blond platine de l'adolescente endormie. Puis il redescend silencieusement au rez-de-chaussée. 
Les trois types qui sont en protection dans le hall ont débouché un litron de marc de Bourgogne. Le maréchal accepte un petit coup d'alcool dans un pot à moutarde. L'alcool blanc lui agace les gencives. Il n'aime vraiment que les liqueurs grasses, genre absinthe, et les vins chaudement vêtus, genre chiroubles. Il s'attarde pourtant quelques instants auprès des trois types. Il a toujours su garder d'excellents contacts avec ses subordonnés. Il fait une plaisanterie sur les défauts des mitraillettes Sten ; puis une plaisanterie sur leurs qualités. Ses hommes sont contents. Le maréchal leur adresse un petit geste avec son verre et rentre dans son bureau.
La nuit est obscure. L'aube est encore loin.

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