Dans ses « Notes noires » publiées en mars 1983 dans la revue Polar, Jean-Patrick Manchette évoque notamment l'avenir du roman policier et s'interroge, avec perplexité, sur la « littérature à fiction forte », et la mode des récits de survie (Délivrance, Mad Max, et ainsi de suite).
Pour terminer sur une note constructive, il faut dire aux polareux français, qui n'ont pas encore compris la vogue du roman-de-survie, et qui vont devoir courir pour la saisir au vol, qu'on peut très vite faire un roman de survie à partir de La Dame aux camélias, alias La Traviata. Il suffit de faire de l'héroïne une starlette, de son protecteur un mafioso, et du jeune homme un courageux docteur de SOS Médecins, et de situer l'action soit à Beyrouth en 1982, soit, par anticipation, dans Paris livré à l'émeute. On suivra de préférence le livret de La Traviata, dont la construction est plus simple et carrée. A l'acte I, le jeune médecin, un gauchiste, sauve la starlette d'une surdose consécutive à une drogue-partie dans son penthouse de Boulogne. L'amour éclate entre eux. Il installe la nana chez lui dans le 13e arrondissement. Il la quitte sans arrêt pour se rendre à Billancourt dans sa R4, soigner des ouvriers insurgés. Le père du toubib intervient et fait comprendre à la starlette que c'est mal barré. Elle regagne son penthouse où elle retombe sous la coupe de son imprésario mafioso concerto grosso, ainsi que dans la drogue. Le jeune toubib vient la récupérer. Les fascistes attaquent. Retranchés dans leur penthouse, l'imprésario capo et le jeune héros font feu longuement contre les nervis fascisti molto craignos. Les desperados de Billancourt les dégagent mais c'est trop tard, l'héroïne a succombé à l'héro en forçant la dose et poussant un contre-ut. Fin de l'acte V.
Ouais ; ça peut être bien. Dans les passages sur la drogue, on introduira des visions oniriques et symboliques allusives qui se référeront à L'Odyssée, La Divine Comédie, Charlot soldat et Pif le chien. Le titre, ET NOUS SORTIMES POUR REVOIR LES ETOILES, sera emprunté à Dante, à moins qu'on lui préfère LA GORGE OUVERTE qui est, comme disait le cavalier blanc, de ma propre invention, et molto vendeur. Pour l'adaptation cinématographique, je vois Deneuve, Lanvin et Galabru.
Allez, va.
Jean-Patrick Manchette, in Chroniques, Rivages
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