lundi 27 février 2017

Noir c'est noir

Pierre Jahan


- Ils ont changé quelque chose, non ?
- A quoi ?
- Dans la fabrication de cette bière
- Tu crois ?
- Elle est pas un peu plus amère ?
- Ce doit être un fond de fût, pas besoin de faire ce raffut.
- Sérieux…
- Je trouve pas. Ou alors, c'est simplement le goût de la vie… Ou de la mort, va savoir.
- T'as toujours un point de vue rassurant, ça fait du bien de boire un coup avec toi. 
- Mais j'aime la vie, faut pas croire
- …Tu le caches bien.
- Si nous n'étions pas englués dans ce cynisme généralisé, cette bêtise présente à tous les coins de rue, les escrocs et les imposteurs qui pullulent, les buzz hystériques, le narcissisme qui trouve son compte dans cette soumission permanente aux gadgets qui régissent notre quotidien, dont on ne peut plus se passer, et on en redemande, des qui ont une nouvelle fonction que l'autre n'avait pas, des plus légers, des plus beaux, des qui font une plus belle photo…
- …C'est bon, j'ai compris. Je vais quand même commander autre chose… 
- Autrement, la vie serait belle…
- Oui, on se marre bien…
- Exactement. Tiens, tout à l'heure, en survolant le site du torchon Libération, j'étais plié en deux devant l'ordi. 
- C'est bien la première fois que ça doit t'arriver… Qu'y avait-il de poilant ?
- Angot appelant Hollande à se représenter !
- C'est quoi, ses arguments ?!
- Je n'ai fait que survoler… Le titre est suffisant.
- Attends…
- Ah, non, pas ton téléphone intelligent, s'il te plaît…
- Ça m'intrigue…
- Je t'ai dit : le titre suffit, pas la peine d'aller lire les propos de ce personnage insignifiant…
- C'est une dépêche de l'AFP.
- Ça n'empêche…
- Quoi ?
- Ses amis de Libé d'en faire un de leurs titres…
- Avec photo…
- …Presque aussi grande que le texte…
- Elle exhorte, carrément ?
- Angot est une autorité.
- En fait, c'est une tribune publiée dans le JDD.
- Chez ses amis de Lagardère ?
- Vous ne pouvez quitter le navire
- …Blablabla…
- Il n'y a plus que vous
- Blablabla… Elle devrait écrire des chansons pour Johnny…
- Ayez le courage. Relevez le gant
- Ça suffit ! C'était drôle, ça devient pathétique…
- Attends : le pays affronte un double danger
- Ah oui ?
- Marine Le Pen, qui nous menace, qui menace notre pays, de l’autre, la menace islamiste. Des gens qui nous détestent et qui veulent nous détruire.
- Ferme ton intelligence, s'il te plaît. Je n'en peux plus. 
- On est menacé de perdre notre cohésion, on risque la décomposition. On est en train de se décomposer, Monsieur le Président. On n’arrive plus à vivre ensemble.
- Ah, manquait plus que ça ! Le vivre-ensemble ! Que sait-elle du vivre-ensemble, cette Duras 2.0 ? Elle qui écrit pour Drahi, Lagardère, Gallimard… Tous ces crétins qui ont peur pour leur pré carré c'est ça qu'ils appellent le vivre-ensemble, pas les grands ensembles où ils n'ont jamais mis les pieds… Mais qu'il disparaissent tous !
- Ça y est, tu fais ton Mélenchon…
- Mais non, j'en ai rien à faire de Mélenchon…
- Tu ne vas pas voter pour lui ?
- Le jour où tu me verras dans un isoloir…
- Tu ne peux pas avoir cette attitude. Des gens se sont battus pour…
- Oui, oui, je connais la chanson : l'Histoire, la démocratie, la république, la liberté…
- Tu dois voter !
- Qu'est-ce qu'il y a ? T'es en mission, là ?
- Même blanc.
- Stop !
- Facile d'ouvrir sa grande gueule
- …Quelle grande gueule ?  Je ne veux pas entendre parler de ces gens, je ne veux pas participer à cette mascarade, c'est tout…
- Et moi, je trouve ça choquant, c'est tout
- …Et tu ne trouves pas choquant qu'une andouille pareille publie ce genre de tribune, qu'un banquier joue les illuminés pour servir le système, qu'une héritière se déguise en détractrice de ce même système, qu'un châtelain ayant détourné de l'argent public ose dire qu'on veut voler les voix de la droite en l'attaquant, que les médias et les instituts de sondage nous bassinent quotidiennement avec cette association de malfaiteurs, que nombre de nos concitoyens pensent voter pour cette bande organisée… ?
- …Tu noircis le tableau… 
- Impossible. Noir sur noir, y'a plus d'espoir. C'est comme si je te tombais dessus, qu'on se retrouve l'un sur l'autre, on n'y verrait plus rien…
- Je comprends rien…
- Toi, t'as besoin d'un petit remontant. Allez, paie ta tournée, amigo ! Et essayons de trouver un moyen de fuir ce pays !

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