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Dave Heath |
Un loup dans la jungle, voilà ce que je suis. Un inadapté, un solitaire avec la rage au ventre parce qu’on m’a toujours méprisé. Une gueule un peu en biais, c’est vrai, une carcasse d’oiseau de proie qu’a rien croûté depuis six mois, et alors ? Je suis né dans la mort pour résumer. Parce que je suis un survivant. Les toubibs ont maintenu ma mère en vie pour que je naisse. Ils l’ont maintenue six mois. Elle avait ramassé un barillet de 357 magnum dans la tête par un retraité qu’elle cambriolait alors qu’elle était enceinte de trois mois. Ça faisait la quatrième fois qu’elle le cambriolait. Il en a eu marre et il l’a attendue avec le 357, caché dans l’ombre de sa chambre, à côté de l’armoire.
Après ma naissance j’ai été confié à mes grands-parents. On a jamais su qui était mon père, un voyou certainement, comme ma mère, un toxico qui malheureusement n’a jamais tué personne parce qu’on a jamais retrouvé son ADN nulle part. J’ai pas eu droit au sein, pas eu droit à la chaleur maternelle durant le peu de temps qu’a duré mon enfance. Les premiers mois ça a été comme la gestation pour les truies, ni plus ni moins. Le ventre de ma mère était maintenu artificiellement en vie dans un abattoir, enfin c’est l’idée que je me fais de l’hôpital, et c’est pour ça que j’aime pas y envoyer les gens si je peux leur éviter ça. On est pas des sauvages quand même. Ma mère elle était morte cliniquement le soir même mais moi j’étais vivant en elle. Ils ont pris cette décision en s’essuyant les mains sur leur blouse blanche. Je la regrette pas, je leur en veux pas. Il en faut des blouses blanches. C’est vrai aussi que la vie est une fosse à merde et parfois on en reprend une louche. Je suis assez vieux maintenant, j’ai passé la quarantaine. J’ai connu plein d’aventures, j’ai eu des femmes, pas d’enfant. Chaque fois il y a eu un pépin avec les femmes. Je préfère pas trop en parler. Il y a quelque chose de mort en moi, c’est ma mère. Les femmes, au bout d’un certain temps elles le sentent alors il y a un pépin. C’est comme ça, je suis comme ça, c’est la vérité. Même quand je le dis pas elles le sentent, elles disent « Je sais pas c’est bizarre mais il y a quelque chose qui va pas chez toi, comme un os dans ton cœur ». C’est l’os de ma mère mais je peux pas le dire parce qu’alors là elles se sauveraient en courant. Vous imaginez le type qui annonce froidement « J’ai vécu dans un cadavre pendant six mois sur un lit d’hôpital » ?
Enfin je m’en fous de tout ça, c’est du passé, j’y pense pas si souvent que ça. C’est pour ça que j’aime pas les retraités mais je le cache. C’est très mal vu de pas aimer les retraités dans un pays qui en est plein à craquer, un pays de vieux cons en phase terminale.
Le type attendait dans l’ombre avec le revolver. Elle est entrée par la fenêtre comme elle faisait toujours et elle n’a rien vu venir. Il lui a tiré dessus sans sommation. Il a pas été condamné parce qu’il était en légitime défense. Elle était pas armée pourtant mais bon, je vais arrêter avec ça parce que je voudrais pas me mettre les retraités de la fonction publique à dos. Lui il était comme ça, d’autres auraient réagi différemment, ils auraient appelé la police. Ma mère était toxico, elle volait pour se payer ses doses, rien d’autre. Elle venait lui piquer sa pension assez régulièrement. Elle était pas futée ma mère il semblerait pour cambrioler toujours le même pavillon en passant par la même fenêtre pendant qu’il faisait sa sieste. C’est une histoire complètement nulle, je sais, je fais avec depuis le premier jour. J’ai une photo de ma mère, elle était belle. Je suis laid du côté de mon père certainement. Je lui en veux pas non plus à mon père. J’en veux juste à la jungle tout entière.
Nan Aurousseau, Des coccinelles dans des noyaux de cerises,
Buchet-Chastel, 2017
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