vendredi 24 février 2017

Le tour du monde



​​‌​​Et puis, elle perd la tête. Ça semble infini. Je me demande aujourd'hui si c'est le terme qu'il a utilisé. 
Avant de me rendre chez ma mère hier matin, comme je le lui avais promis la veille par téléphone - trop de temps sans être passé la voir -, j'avais envoyé un message à Pascal, lui demandant s'il était libre pour déjeuner. Nous n'avions pas respecté cette année le rituel autour de la date de nos anniversaires. En arrivant rue Edouard-Vaillant, j'ai constaté qu'il n'avait toujours pas répondu à mon message. Ma mère m'a montré son nouveau fauteuil, offert par ma soeur, avec qui elle part la semaine prochaine en Israël. Je ne te l'avais pas dit ? Il restait de la place sur un de ces voyages qu'elle dégote de temps à autre. Mais je n'étais pas au courant. Elle m'a parlé de sa visite chez un vieil oto-rhino du carrefour des Laitières pour tenter de trouver une solution à une toux persistante. Il lui a changé un de ses médicaments, tout en lui confiant qu'elle devrait supporter cette gêne encore un moment. Jusqu'à quand ?... Tout était dû à sa hernie hiatale. Je lui ai proposé de faire un saut à la pharmacie pour cet autre médicament, mais elle m'en a sorti une boîte qu'elle avait gardée d'une précedente prescription. C'était d'ailleurs ce produit qu'elle prenait avant que son généraliste le lui change. Tu sais bien... Peut-être. Je m'y perds. Elle m'a demandé si je souhaitais déjeuner avec elle. Et j'ai parlé de mon éventuel rendez-vous avec Pascal. Elle m'a alors appris la mauvaise nouvelle. La mère de mon copain avait été hospitalisée peu avant Noël pour un problème cardiaque. Il ne te l'avait pas dit ? Non... Nous nous étions pourtant parlé, certes brièvement, à l'occasion des voeux le mois dernier, mais il ne m'en avait pas informé. Je l'ai appelé. Et nous nous sommes retrouvés au Brazza, le bar-tabac à quelques pas de son ancienne boutique, à Vincennes. Il ne voulait pas m'emmerder avec ces histoires, me dit-il. Il est vrai que, de mon côté, je ne lui parle pas des soucis de santé de ma mère, et pas vraiment des miens.
Elle était tombée chez elle. Avait eu par le passé une ou deux alertes côté coeur. Et portait désormais un appareil autour du cou pour alerter ses proches ou les pompiers en cas de malaise. En tombant, son collier de secours s'est retrouvé dans son dos sur lequel elle était couchée. Pas moyen de s'en servir. Par chance, une de ses nièces passait quelques jours en sa compagnie et l'a découverte à terre, inconsciente. Les pompiers l'ont emmenée aux urgences, dans l'hôpital de la ville, un établissement militaire. Elle y est restée quelques jours dans le coma et ils ont pu la réanimer. Malheureusement, ils se sont aperçu qu'une artère de
sa jambe était bouchée et l'ont transférée dans un autre hôpital militaire, en banlieue ouest. Là-bas, ils ont préféré ne pas opérer car la patiente était dans un état trop fragile. Nouveau transfert, vers une maison de convalescence cette fois, la pauvre femme ne pouvant plus marcher, sa jambe se nécrosant. Pascal me racontait tout cela sans être abattu, comme résigné. C'est là qu'il a utilisé ce terme dont je ne suis plus certain. Car seule l'opération, assez lourde, un pontage, pourrait la tirer d'affaire. Mais il n'y croit pas. Et puis, elle perd donc la tête. Je ne sais pas quel âge a sa mère. Mais si je me souviens bien, Pascal est le dernier d'une fratrie de quatre. Et l'une de ses soeurs a été emportée par un truc étrange il y a déjà quelques années. J'ai repensé au père de Camille, l'autre soir. Et au mien, que j'avais perdu de vue deux ans durant avant de le retrouver sur un lit d'hôpital, condamné. A ma mère dont je redoute aussi les années à venir, les complications d'un corps trop visité par la tragédie.
Côté boulot, ce n'est guère plus brillant. Depuis que Pascal a fermé sa boutique d'antiquités, qu'il ne travaille plus que sur des foires ou des salles de vente, les rentrées d'argent sont plus que jamais aléatoires. Il me racontait que désormais, le moindre acheteur potentiel débarque armé de son smartphone, scanne ou photographie l'objet désiré, s'enquiert du prix sur la grande toile et n'achète qu'à partir d'un chiffre inférieur. Braderie générale. Et puis, Pascal pensait être tombé sur le graal qui allait lui sauver la mise un bon moment, en l'espèce une statuette inca trouvée dans une poubelle, à côté de son PMU préféré, en état de décomposition avancé... L'ayant montrée à un copain brocanteur, il l'a aussitôt faite restaurer par une spécialiste de la chose. Puis a démarché les deux trois experts en la matière. Le premier a avancé la somme de 50 à 60 000 balles. Pour se rétracter finalement et n'en proposer que 2 000... Un autre lui a confirmé la haute valeur de la statuettte, promis de la faire passer en salle de vente mais fait traîner le truc six ou huit mois pour finalement rendre l'objet à mon ami. Il y a une trouille autour de la relique. Pas une superstition, mais la peur que sa mise en vente ne suscite la colère des défenseurs de la cause amérindienne ou je ne sais quel scandale. J'ai demandé alors des nouvelles de sa femme. Elle va bien, heureusement. Sans son modeste salaire d'infirmière, ils seraient à la rue...
Nous avons ensuite évoqué nos enfants tandis que je finissais le pichet de rouge pas fameux. Un des fils de Pascal est entré rapidement dans la vie active après un master en informatique. Embauché par une grosse boîte, il ne touche pas le salaire qu'il avait annoncé à ses parents mais peut choisir pour qui bosser. Un luxe aujourd'hui. Et puis, ce qui le préoccupe le plus, c'est sa belle. Amoureux d'une étudiante rencontrée à la chic fac de Dauphine, il vient de se prendre le réel dans la tronche. La belle en question appartient à un tout autre milieu dans lequel le jeune informaticien est autant perdu qu'il est éperdu de la fille dont la mère est la cousine de je ne sais plus qui. Quelqu'un de riche et célèbre en tous cas. Invité à dîner dans la famille, la gamin a vu les conversations filer au-desssus de sa tête sans en saisir le moindre sens. En pleurs lorsque sa copine a décidé de filer en Corée poursuivre ses études, il est parvenu à mettre des sous de côté et se payer un billet pour la rejoindre cet été. L'autre fils ressemble un peu plus à ce qu'était Pascal - et moi - lorsque nous nous sommes connus : un flemmard, passionné de cinoche, mais pas vraiment armé face au monde des grandes personnes. Il vient de se lancer dans un BTS pour faire de la régie, si j'ai bien compris. Sa mère lui a trouvé, par le plus grand des hasards, un parent d'élève rencontré dans la rue je crois, une piste pour une entreprise acceptant de prendre le gosse en alternance. Après quelques semaines à faire de la maintenance de matériel au siège de la boîte, le voici à présent sur le terrain, à installer des écrans aux meetings de Macron ou sur des tournages de spots de campagnes... C'est dans ces lieux que se trouve le cinéma aujourd'hui, bien plus que dans les films nommés aux césars, ce soir...
Je crois que j'ai oublié de lui dire que j'avais enfin vu Un Homme et une femme et qu'en sortant du ciné, j'avais trouvé son sms me souhaitant une bonne année...


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