vendredi 22 avril 2016

La mort viendra et elle aura tes fesses


Elle prétend que j'ai fait de sa vie un désert. Un désastre peut-être, je ne sais plus. Je ne veux pas la relire. Elle y tient : nous devons nous voir, prendre un café, parler. Je n'ai rien à lui dire. Il y a trente ans. Je me souviens à peine d'elle. Ses yeux, ses fesses, rien d'autre. Quel besoin a-t-elle de remuer notre jeunesse ? Elle déclare que je ne peux la laisser comme ça. Je ne sais pas ce qu'elle a en tête. Toi, tu as réussi ta vie, écrit-elle. Ce qui n'est pas son cas. Je dois l'aider. A la mémoire de l'amour, de nos idéaux. Que s'imagine-t-elle ? Que sait-elle de ma vie, de mes échecs, des rêves évaporés ? Nous n'avons jamais vraiment vécu ensemble. Nous étions des enfants. Nous fréquentions une bande d'anarchistes, improvisés éditeurs. Nous donnions un coup de main pour la relecture des textes, c'est là, dans un sous-sol humide, que nous nous sommes rencontrés. Un temps, nous avons été logés dans un squat mais j'ai très vite étouffé. L'amour libre, les soirées fumette et cannettes, le partage des tâches, les débats interminables, la castagne avec les fafs, les courses-poursuites avec la flicaille, les faux papiers, les petits chefs, les doigts dans la colle, l'eau froide…, le sens de la lutte m'échappait. Elle aussi. Aujourd'hui, elle supplie. Envie ma vie bourgeoise. Demande des comptes. Je ne vois plus personne de cette époque. Je préfère y penser avec nostalgie. Comment m'a-t-elle retrouvé ? Elle n'indique ni adresse ni téléphone. Elle dit qu'elle est prête à tout pour me revoir. Juste une demi-heure, une heure. Pas plus. Elle a des choses à me raconter, à me demander. Ce soir. Dans ce café où nous nous sommes embrassés pour la première fois. Je ne sais pas de quoi elle parle. Je n'ai jamais embrassé de fille dans un café.

3 commentaires:

  1. Texte à images par résonance magnétique dans mon esprit.

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  2. Contraste relatif entre ces fesses à mourir et à droite, celles trônant.

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