jeudi 27 mars 2025

Abandonnée au paradis



 

is it because i'm black ?
soulait délicieusement ken boothe
éclipsant avec élégance syl johnson

que laura de toute manière
ignorait
il pardonnait toutes ses lacunes
supposées
en la matière
comme dans d'autres
lorsqu'il pensait à
ses fesses
sans nul doute
les plus belles
baisées par ses mains
ses airs d'actrice hollywoodienne
des années cinquante
la femme fatale
de ces films en noir et blanc
avec détective alcoolique
vous dissuadait de vous attacher
à elle
un nom lui revenait en tête
lorsque ces années mortes
défilaient entre la grande avenue
des remords
et le boulevard de la capitulation
gene tierney
pas moyen de retrouver le titre d'un de ses films
ou son réalisateur
sternberg ?
preminger ?
parker ?
désormais toutes ces séances
dans le noir se confondaient
l'absence est mon destin
se dit-il
oubliant qu'un autre l'avait écrit
rafistoler tant de verbiage
entre deux ou trois maisons
n'avait plus de sens
leave laura to heaven

charles brun, darker than blue



lundi 24 mars 2025

Mineur

Tony Ray-Jones

 

 

Le destin c'est l'oubli.
J'y suis arrivé avant.
Jorge Luis Borges « Le poète mineur »


 

Quelquefois on lui a dit
sur un ton de haine policée
qu'il est/qu'il a toujours été
un poète mineur

et soudain il a remarqué
qu'il était à l'aise
dans cette catégorie

quand on vieillit
il est franchement gratifiant
d'être un poète mineur

quand il lit et relit
ces poètes majeurs
et qu'il parle avec eux
non d'égal à égal
mais entre inégaux

il assume sans affront
la distance cordiale
la distance sidérale
qui existe entre lui et eux

 

 

Mario Benedetti, in Anthologie poétique,
édition bilingue, trad. Omar Emilio Spósito
Le temps des cerises/Reflet de lettres, 2024

samedi 22 mars 2025

¡ Ojalá !

Josef Koudelka



Intriguée par l'identité du mystérieux poète Charles Brun, moult fois publié ici — il va d'ailleurs falloir que ça cesse —, une amie, égarée régulière, s'est lancée dans une recherche via l'intelligence artificielle. Le résultat l'a quelque peu déroutée. Elle demande, légitimement, pense-t-elle, mon avis. Or, voici le résultat:

 

Charles Brun, connu sous le pseudonyme de Raoul Toscan, était un journaliste, poète et artiste. Il a également été professeur d'arts plastiques et conservateur à la Bibliothèque de Nevers. Ses recueils poétiques ont été publiés en 1913, 1916 et 1923. Il a également fondé la revue Le Coq après ses études en arts.

 

La bafouille s'interrompt ainsi, brusquement, non sans se justifier en mentionnant une référence, un lien vers l'université Paris-Nanterre et une rubrique consacrée aux poètes de la Grande guerre. Une notice concerne en effet ce Charles Brun, dit Raoul Toscan:

 

Toscan Raoul
État civil
: Charles André Brun
Naissance
: 30/09/1884 à Buenos Aires (Argentine)
Décès
: 19/12/2019 à Nevers
Nationalité
: française
Activité : journaliste
Statut
: engagement spécial malgré reforme ou exemption.
Engagé spécial en qualité de secrétaire. Fait la campagne à l’intérieur.
Matricule
: 1151 (Classe: 1904)
Mobilisé à Cosne

Présentation
Journaliste, poète et artiste, puis professeur d’arts plastiques et conservateur à la Bibliothèque de Nevers, Charles Brun, connu sous le pseudonyme de Raoul Toscan, fait la guerre en tant que secrétaire dans le dépôt du 85e RI malgré sa réforme pour bronchite chronique en 1905, maintenue en 1914. Il obtient son engagement spécial en novembre 1916 mais est classe à nouveau dans le service auxiliaire en mars 1917 à cause de sommets cicatrisés et de l’ablation d’un testicule. Il retourne au dépôt du 85e en mai 1917 et passe au 13e RI, mais tomba malade à nouveau en septembre et passa un mois de convalescence à l’hôpital de Nevers.
Après ses études en arts, il s’installa à Nevers, où il fonda la revue Le Coq. Ses recueils poétiques paraissent en 1913, 1916 (avant son engagement) et 1923. Il ne laissa pas d’oeuvre de guerre, mais après la guerre il devient instituteur et journaliste.

 

On le voit, si l'IA est limitée — du moins celle ici utilisée —, les universitaires amateurs de poésie quant à eux prêtent aux poètes des vies exceptionnelles : ce Charles André Brun serait ainsi mort à 135 ans —avec une couille en moins... Si, sur cette page, nous cliquons sur le lien qui nous conduit au site de la BNF, nous apprenons que le dit Raoul a clamsé avant l'âge de la retraite — fixé à l'époque, 1946, à 65 anstoujours, sans doute, avec une couille en moins. Pas de retraite pour les poètes!
Notre Charles Brun à nous, aux dernières nouvelles, mais je peux me tromper, est encore vivant et semi-actif. Et, à ma connaissance, possède encore ses deux couilles. Sera-t-il un jour un paisible retraité? On peut en douter, mais c'est une autre histoire. En revanche, le vrai point commun entre ces deux Charles Brun, c'est leur côté métèque hispanique. Mais, à ma connaissance, Brun n'est pas un patronyme très hispanophone. S'agirait-il encore d'un pseudo ? Un nom d'emprunt ? Une francisation ? Une IA occulte ? Allez savoir... 

Je me souviens, ça me revient maintenant, d'une autre recherche sur le même sujet effectué par un autre ami, avec une autre IA. Elle est plus complète et concerne bien notre Charles Brun. La voici:

 

Charles Brun est un poète contemporain dont plusieurs textes ont été publiés sur le blog Nos Consolations. Son style se caractérise par une écriture à la fois sobre et profonde, où les mots sont choisis avec soin pour exprimer des émotions et des réflexions intimes.

Thèmes de prédilection
Les poèmes de Charles Brun abordent des thèmes variés, tels que l'amour, la perte, le temps qui passe, la nature ou encore la spiritualité. Il explore ces sujets avec une sensibilité à fleur de peau, sans jamais tomber dans le pathos ou la mièvrerie.

Forme et musicalité
Sur le plan de la forme, Charles Brun privilégie souvent les vers libres, ce qui lui permet de moduler le rythme et la musicalité de ses poèmes en fonction des émotions qu'il souhaite transmettre. Il joue avec les sonorités, les assonances et les allitérations pour créer une atmosphère particulière à chaque poème.

Images et symboles
L'univers poétique de Charles Brun est riche en images et en symboles, qu'il utilise pour exprimer ses idées de manière subtile et poétique. Il fait appel à des éléments de la nature, des objets du quotidien ou encore des références culturelles pour créer un langage poétique personnel et original.

Intemporalité et universalité
Bien que ses poèmes soient souvent ancrés dans son expérience personnelle, Charles Brun parvient à toucher à des thèmes universels qui parlent à tous les lecteurs. Ses textes résonnent avec nos propres émotions et expériences, ce qui leur confère une dimension intemporelle.

En résumé, le style de Charles Brun se caractérise par :
- Sobriété et profondeur : une écriture精炼 et précise, qui va à l'essentiel.
- Sensibilité et émotion : une capacité à transmettre des émotions sincères et authentiques.
- Musicalité et rythme : un travail sur les sonorités et les rythmes pour créer une atmosphère particulière.
- Images et symboles : un langage poétique riche et original.
- Universalité : des thèmes qui parlent à tous les lecteurs, quelle que soit leur expérience.

Si vous souhaitez découvrir l'univers poétique de Charles Brun, je vous invite à vous rendre sur le blog Nos Consolations où vous pourrez lire certains de se

Oui, cette fiche de renseignements se terminait ainsi — du moins, le texte copié-collé par l'ami en question. J'imagine que c'est simplement un loupé informatique. Tout comme ces inopinés idéogrammes asiatiques. Mais je comprends pourquoi j'avais oublié cet envoi. Autant de poncifs et de qualificatifs interchangeables laissent rêveur. On pense à ces textes composés par les cabinets de conseil, leurs éléments de langage tant chéris par nos dirigeants… Je n'en avais rien dit à notre Charles Brun, c'est maintenant chose faite avec ce billet. Un bon moyen peut-être pour ne plus être submergé par ses textes ? ¡Ojalá !, comme disent les hispaniques…

vendredi 21 mars 2025

Bazar de la nuit

Vitaliano Bassetti

 

arrête mon diamant
ma douleur
oublie enfin l'hiver
replonge dans la lumière
souviens-toi de ce beau matin de pluie
la lueur de la première heure
c'est elle
elle nous revient
lâche la rampe la bride la vapeur
si tu y tiens
retrouvons-nous au bazar
de la nuit
allez viens
tu auras toujours ta place vi-aïe-pi
au rayon insomnies
allez viens ma vie
dans mon lit

 

charles brun, chansons et violons pour tous


jeudi 13 mars 2025

Parlez-moi d'amour


Michael Bidner

 

nous avons eu des mots
ce n'est pas si mal
tout le monde ne peut pas
en dire autant
après tout
je vais je ne sais où
avec sa voix
la pluie glaciale
les rues mal éclairées
un clodo allumé
me cueillent à découvert
la vue est mal faite
nuit sans lune
la carotte
guide mes pas

à l'ancien zinc enfumé
clandé
je me fais une place
pardon
nos mots me reviennent
elle
voulait
que je lui parle d'amour
je commande sans sommation
passe un sauvignon
un deuxième et un troisième
glissent
encore facile
ça persiste
dit le gars gluant
à mes côtés
je sais pas si je bois
parce que je coule
ou si je coule
parce que je brois
du noir
je mourrai sans le savoir
je voudrais lui remonter
le féliciter
le moral
une tape
il croise mes hésitations
garçon 
pour monsieur un autre sauvignon
je pense pas question pauvre con
entre nous pas de façon
je dis c'est pas de refus
il demande un torchon

encore trempé
je le laisse me sécher
m'essuyer pas gêné
je veux lui en coller une
son nom c'est riton
soixante huit piges
seul mal en point pas du quartier
on se connaît pas arrêtez
cafardeux endetté
me crible d'autres mots
poisseux
que je dribble en pleine surface
d'un crochet du gauche
sonné il reste sur place
je remets presque un droit
ça se bouscule derrière
se généralise
qui défend qui
on ne sait

la vie est bien faite
pauvre con
au trou pour la nuit
sans sommation
le temps de gommer le gris
parmi cafards et souris
presque au chaud
j'en oublie nos mots
ce n'est pas si mal
tout le monde ne peut pas
en rire autant


charles brun, farces et retapes, vol. 3



samedi 8 mars 2025

Les temps ont changé

 

le courrier s'amoncelle
au pied du bureau
dans la baignoire la vaisselle
sur mes genoux une femme
boit du champagne
peau blanche et yeux d’assassin
sa croupe pétillante dans la main
j'exècre les hommes
reclus ici
ils ne m'inspirent aucune confiance
d'où viennent tous ces gens ?
n'ai-je pas mieux à faire ?
plus rien n'est ce que l'on croit
chante-t-elle à mon oreille
avant de s'enfuir vers
quelque autre souffrance
je pense avoir reconnu la chanson
des filles tanguent
entre elles
sur un beau mélo de gardel
plus belles les unes que les autres
un signe m'invite à les rejoindre
elles parlent poésie
je me fais tout petit
cherche la sortie
pas une ne connaît
edgar allan poe
peu leur chaut
les idiots se précipitent là où
les anges ont peur d'aller
les informations tournent en boucle
sur les écrans
l’ère ouverte il y a quatre-vingt ans
répètent-ils se referme
les temps ont changé
empêtré dans la mélancolie
cet air
me revient la nuit
je resterai devant votre tombe
pour m'assurer
que vous êtes bien morts
chantiez-vous
je vous entends encore,
monsieur robert
je n'ai pas sommeil et n'ai nulle part
où aller
vous reprendrez bien un verre ?

 

charles brun, un abri pour l'orage

mercredi 5 mars 2025

Te protéger


Leonard Misonne

 

 

Le jour et la nuit arrivent
main dans la main comme un garçon et une fille
s’arrêtant seulement pour manger des baies sauvages dans un plat
décoré de peintures d’oiseaux.

Ils gravissent la haute montagne couverte de glace,
puis ils s’envolent au loin. Mais toi et moi
ne faisons pas de telles choses —

Nous gravissons la même montagne ;
je prie pour que le vent nous soulève
mais cela ne fonctionne pas ;
tu caches ta tête afin de ne pas
voir la fin —

Toujours plus bas, toujours plus bas, toujours plus bas, toujours plus bas
voilà où le vent nous emmène ;

j’essaie de te réconforter
mais les mots ne sont pas la réponse ;
je chante pour toi comme mère chantait pour moi —

Tes yeux sont fermés. Nous dépassons
le garçon et la fille que nous avons vus au début ;
maintenant ils sont sur un pont de bois ;
je peux voir leur maison derrière eux ;

Comme vous allez vite nous crient-ils,
mais non, le vent nous rend sourds,
c’est lui que nous entendons —

Et puis, nous tombons tout simplement —

Et le monde passe,
tous les mondes, chacun plus beau que le précédent ;

je touche ta joue pour te protéger —

 

Louise Glück, Recueil collectif de recettes d'hiver,
trad. Marie Olivier, Gallimard

dimanche 2 mars 2025

Une sphère de mystère

Ken Regan

En regardant Dylan sur scène, mon impression récurrente est qu’il joue gros jeu. Très gros. Il répète qu’il n’est « rien qu’un musicien», et il a certes viscéralement besoin de se protéger ainsi des prétentions intellectualisantes qui sont une menace permanente pour tout artiste, mais de toute façon ce n’est pas à lui de s’expliquer sur les répercussions de son art. Elles nous retombent dessus comme autant de questions qui nous appartiennent. Tout mythe est un moyen d’expression chargé de puissance, parce qu’il s’adresse aux émotions non à la raison. Il nous transporte dans une sphère de mystère. Certains d’entre eux sont des poisons, dès qu’on leur accorde crédit, mais d’autres ont le pouvoir de changer quelque chose en nous, ne serait-ce que l’espace d’une minute ou deux. Dylan crée du mythe à partir du pays qui nous entoure, de la terre que nous foulons chaque jour et que nous ne voyons pas, jusqu’à ce que quelqu’un nous la montre.

 

Sam Shepard, Rolling Thunder, Sur la route avec Bob Dylan,
trad. Bernard Cohen, ed. Belles Lettres, 2025