— Encore ?!
— Ah oui, je ne t'ai pas dit. C'est ma caméra...
— Comment ça, ta caméra ?
— Oui, ça m'alerte dès que ça détecte un mouvement chez moi...
— C'est une caméra de surveillance ?
— Oui, je viens de l'installer dans mon sous-sol.
— Pour le rat ?
— Ah non, pas du tout. Je ne t'ai pas dit ?
— Tu ne m'as pas dit quoi ?
— Pour le rat.
— Non.
— Tu prends quoi ?
— La même chose.
— Il y a 15 jours, je suis repassé chez le dératiseur.
— Lequel ?
— Une petite boutique pas loin de chez moi.
— Finalement tu n'as pas fait appel au type que t'avait recommandé le type parti à la retraite ?
— Non, c'était un type pas très pro. Je ne le sentais pas. Il fallait le contacter via son compte instagram où il posait devant des bagnoles ou en train de fumer la chicha, comme un kéké, avec les gestes d'un vulgaire rappeur. Bref, il n'est pas venu au rendez-vous. Sur son message suivant, il ne s'excusait même pas. Il m'a dit Je repasse demain, en une demi-heure, c'est réglé, tu me files un petit billet et voilà.
— Un petit billet de combien ?
— 50 euros.
— Ce type pas pro était quand même moins cher que la boîte que tu avais contactée.
— Oui, mais pas pro, justement, c'était au black, sans aucune garantie, un type pas fiable je te dis, un vrai kéké...
— Bref... La petite boutique.
— Quand j'ai raconté au type de cette petite boutique tout ce que j'avais tenté depuis trois mois, il n'en revenait pas. On ne fera pas mieux. Je ne vais pas vous facturer une opération que vous avez déjà faite. Dès que des travaux se déroulent dans la rue, les rats sortent de leurs galeries et se réfugient chez les gens, c'est imparable. Vous devez vivre un enfer. J'aimerais pas être à votre place. Revenez la semaine prochaine, je dois recevoir de nouveaux produits, vous m'êtes sympathique, je vous en filerai deux ou trois gratuitement si vous n'avez toujours pas réussi à vous en débarrasser.
— Ah, parfait. L'humanité n'est pas tout à fait perdue...
— Oui, mais moi, je ne voulais pas en arriver là... Tu me connais, je ne peux pas faire de mal à un animal. Mais c'était lui ou moi, je n'en pouvais plus. Depuis trois mois, tu te rends compte ? Je ne dormais plus... Je l'entendais creuser la nuit. Je devenais fou. Chaque nouveau piège, il le déjouait. Il s'amusait à déchiqueter les sachets et à répandre le poison tout autour. Les clapettes traditionnelles, il les déclenchait sans y laisser ne serait-ce qu'un poil de moustache. Il me narguait en permanence. Il faisait des trous dans toute la cuisine, dans les placards, derrière le frigo, où il planquait les croquettes qu'il piquait à mon chat...
— Bref...
— Oui. La semaine dernière, je repasse à la petite boutique. Toujours là, votre rat ? Mon pauvre vieux. Tenez, j'ai ce qu'il vous faut. C'est du matériel pro, vous ne trouvez pas ça dans le commerce. Et pour vous, c'est gratuit ! J'installe ces nouveaux pièges. Sans trop y croire. Trois mois que ça dure... Je file au boulot. Le soir, j'avais oublié, je faisais ma vaisselle du dîner, au moment de l'essuyer, je vais prendre un nouveau torchon sous l'évier : le rat était là ! Couvert de sang, agonisant. Ses yeux qui me suppliaient d'en finir... Mais j'en étais incapable. J'avais la nausée. Finalement, je prends un gant de cuisine, un sac poubelle, et je le fous dedans. Et je jette le tout, le rat encore vivant, le sac plastique, mon gant, les torchons... dans la poubelle du jardin. Je n'arrivais plus à rien. C'est atroce.
— C'est ton côté vegan, ça te perdra.
— Oui, c'est ça. J'ai rendu mes raviolis végétariens dans le jardin, j'avais des suées... Et puis, je me suis repris. Je suis retourné à la poubelle, j'ai vérifié : il était enfin mort. J'ai creusé un trou dans le jardin et je l'ai enterré, à côté de ma pauvre chatte. J'ai mis un caillou sur sa tombe sur lequel j'ai écrit son nom.
— Il avait un nom ?
— Oui, Palmer.
— Ah, très astucieux... Il va te manquer.
— Je crois... Je me sens très seul désormais. C'est pourquoi j'ai insisté pour qu'on se voit ce soir.
— Quelle histoire. Mais alors, ta caméra ?
— Rien à voir.
— Alors pourquoi l'avoir installée ?
— Oh, tu vas me prendre pour un fou.
— Détrompe-toi, je sais que tu es fou.
— Oui, ben, je te raconterai une autre fois... Tu reprends quelque chose ? Je t'invite. On va boire à la mémoire de Palmer.
jeudi 29 décembre 2022
Palmer
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire