Aucune importance
— Aucune importance, je t'assure...
— Tu as tout de même passé un bel été ?
— Si tu pouvais éviter, toi aussi, de mettre du beau partout...
— Quoi ?
— Je ne supporte pas ces gens qui te donnent en permamence du Belle journée, Beau dimanche, Bel été... Beaux connards, oui !...
— Ok, Ok. Tu as passé un bon été ?
— Il n'est pas terminé.
— Tu es parti ?
— Où veux-tu que j'aille ?
— Prendre l'air.
— L'air est irrespirable. Ailleurs autant qu'ici.
— Des vacances te feraient du bien.
— J'ai ni le fric ni le désir de me coltiner la recherche de la bonne page internet pour acheter un billet de train, d'une autre pour réserver une chambre, sans parler de se taper des quais et des trains surpeuplés de mômes qui chialent et de parents sur leur smartphone. Je suis très bien chez moi. Les trains, je les entends passer, ça me suffit amplement. Pareil pour le téléphone, je ne veux pas mettre de blé dans cet outil, les prix sont délirants. J'ai appelé l'opérateur, on m'avait dit qu'ils faisaient des prix car tu accumules des points, je ne sais pas quoi, mais ils m'ont renvoyé sur leur site internet, qu'ils aillent se faire pendre. J'ai essayé une de leurs boutiques dans un centre commercial, une superbe parodie de l'enfer, c'était rempli de clients : des jeunes cons, fascinés par toute sorte de machines, aux vieux, dépassés par le nouvel appareil qu'on leur a refourgué... Je ne suis pas fait pour ce monde-là. Mais je te l'ai dit : aucune importance, je ne reçois en général que deux appels dans la journée. Un le matin, de ma vieille mère et un le soir, de ma vieille mère...
— Tu déconnes !
— C'est vrai : parfois elle m'appelle aussi le midi.
— Tu exagères, tu ne peux pas, comme ça, resté coupé du monde...
— Oh que si. La radio est tombée en panne il y a une semaine ou deux, ça fait un bien fou. Je ne peux plus entendre leur propagande à longueur de journée. Leur lutte contre le déréglement climatique ou l'extrême droite, contre la guerre, le virus, l'inflation et tout cette novlangue de baratin, j'ai l'impression d'être soumis à des spots de pub en permanence, ça frôle la démence. Jacques Tati s'étonnait que dans les salles de cinéma, au moment des pubs, les spectateurs ne sifflent pas tous en choeur, mettent le feu à l'écran. Aujourd'hui, tout le monde gobe tout, certains font semblant de s'indigner de temps à autre pour être en phase avec leur conscience politique, et puis, faut bien vivre, on passe à la suite. Au suivant, chantait Brel, au suivant ! Des armées d'impuissants, voilà ce que nous sommes devenus. De manière consentante, qui plus est...
— Ben, mon vieux...
— Tout cela n'a aucune importance, te dis-je. Revenons aux vacances. T'es parti, toi ?
— Oh, j'ai fait dans la sobriété. Je suis resté en France, en Normandie...
— C'est bien, t'es parfaitement domestiqué. Tu as retenu la leçon de ces ordures fascistes qui nous gouvernent par la peur, l'intimidation et la répression. Tu pisses sous la douche, comme ils l'ordonnent ? Tu n'oublies pas de couper ta connection wifi avant de t'endormir ? Et cet hiver, rappelle-toi, pas question de chauffer ton appartement.
— Je ne sais pas ce qui nous attend...
— ...La mort, ducon.
— Je voulais dire niveau factures, impôts, inflation, ils ne vont pas bloquer les prix éternellement...
— ...C'est bien ce que je dis, la mort. Dans un premier temps, ce qui t'attend, comme nous tous, c'est la mise au ban, l'exclusion. Et puis, vient la mort. Tu verras. Ce sera un peu long et douloureux mais ça viendra. Avec un peu de chance, un missile se chargera d'accélérer le processus... Mais, d'ici là, tu peux nous payer une petite tournée.
— Quel intérêt ?
— Celui de gagner toute ma considération.
— Tu as raison. Rien ne vaut un petit apéro avec son meilleur poteau. On en ressort totalement requinqué...
J'aime vraiment beaucoup ce dialogue.
RépondreSupprimerMerci pour eux, Kwarkito. Ces piliers sévissent depuis un moment ici, sous le libellé Boire la nuit dans un bar...
Supprimeroui oui, je les ai relus, c'est toujours aussi réjouissants.
SupprimerToujours aussi savoureux !
RépondreSupprimerSavourez, mon vieux, savourez, ça ne va pas durer...
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