Ça devient rare. Les bonnes soirées. Les bons films. Alors, dans un moment de fol optimisme – ça a toujours été rare –, j'ai essayé de ne pas en faire un plat, plutôt un remake. C'était Halloween et j'avais décidé de ne pas m'énerver lorsque les coups de sonnette se multiplieraient, d'être diplomate. J'avais une bonne raison — ça devient rare… –, nous allions au cinéma. Le film était accompagné d'éloges élogieux et unanimement unanimes, j'étais méfiant, mais partant. La fille de Camille avait filé à une fête pour cette journée du commerce de l'horreur sucrée américano-mondialisée et nous y allions en amoureux, comme dans le temps. Nous allions y retrouver également un couple de voisins, des médecins à la retraite, rencontrés au cours de promenades avec chien dans le parc du quartier : G., fils d'Espagnol, comme moi et M., fille du Nord, comme ma chérie, des amis depuis. Cela aussi se fait rare. Jusqu'à quel âge se fait-on des amis ? Je sais, je m'égare – ce qui n'a jamais été rare. Il n'y eut ce soir-là que deux coups de sonnette et portes ouvertes, avec un simple et doublé Désolé, y'a pas de bonbons et non plus comme d'autres années, un Nous ne marchons pas dans la combine, suivi d'un Allez vous faire foutre royal.Nous aperçûmes nos amis dans le haut d'une salle presque pleine, place des amoureux et des vieux, loin des regards indiscrets et près de la sortie. Depuis quelque temps G. souffrait du coeur. Il devait se rendre le lundi suivant à l'hosto pour des examens, et certainement une intervention. D'ici là, le cardiologue était formel : G. devait se tenir tranquille, ne pas faire d'efforts. A peine le film commencé, les rires me faisaient souffrir pour notre ami. Lorsque l'on rit, le transport ne ressemble-t-il pas à un effort ? Car je riais rapidement sans effort. J'avais retrouvé un plaisir de cinéma. Et Salvadori, celui de la mise en scène ‒ du rythme notamment, essentiel en comédie –, un beau souci comme dirait l'autre. Oubliées les références écrasantes au prince Lubitsch – avec en prime l'Elmaleh inénarrable, amant de la fille d'une princesse de pacotille et de paradis fiscal, médiocre comédien capable, sans fait vergogne, de passer de la pub interminable pour une banque d'aujourd'hui à une satire du capitalisme réalisée par un vieux de la vieille qu'on a connu plus inspiré. Je m'étais alors juré de ne plus retourner voir un film de ce cher Pierre, dont l'esprit et le cinéma m'avaient séduit avec l'un de ses premiers films, Les Apprentis, servi par un duo presque à la hauteur du buddy-buddy Lemmon-Matthau. Le film suivant était déjà bancal, mal foutu, mais j'étais indulgent, puis, suscitait mon intérêt un téléfilm assez sombre, encore servi par le lunaire fils Depardieu. Mais depuis, c'était devenu gênant et mou des deux genoux. A terre. Limite foenkinossien. Mon cher Pierre, il faut se faire une raison, avais-je envie de lui dire, tu ne seras jamais un Viennois pessimiste exilé à Hollywood, mais un Corse dépressif se débattant dans le marasme du cinoche franchouillard – c'est déjà pas mal. Et ça donne un type plutôt sympathique, croisé il y a des années de cela dans un festival. Bastia il me semble, où j'avais également croisé Camille sans la voir, sans qu'on se connaisse vraiment bien que déjà présentés, mais c'est une autre histoire. Nous avions fini à quelques uns dans un bar, après un dîner, rejoints – ou étaient-ils là dès le début ? ‒, par Salvadori et la femme d'un autre cinéaste français depuis empalmé, également réalisatrice, Marion Vernoux. Je décelais chez le Corse et sans mal le drôle désenchantement généreux de ses films. Le même jour, mais le midi, et dans un autre resto, autre moment délicat. L'attaché de presse du festival m'avait collé un voisin encombrant, un patron de canards dit de gauche, qui jongla des années entre deux postes de direction, l'un dans un hebdo qui n'avait plus rien de nouveau, l'autre dans un quotidien déclinant qui avait, au cours d'une énième formule, sacrifié ses pages les plus intéressantes, les petites annonces. Laurent Mouchard voulait que je le briefe à propos de l'A.M.I. et des accords commerciaux internationaux auxquels il ne comprenait rien, et dont j'étais, paraît-il, un spécialiste. Consterné et quelque peu rebuté mais moi aussi généreux, j'avais exposé la question entre deux bouchées de sardines et coups de rouge corse. Je ne crois pas que le fat éditorialiste fut finalement plus éclairé. Le lendemain, déjeunant avec d'autres journalistes, dont un critique également dit de gauche, j'avais dit tout le bien que je pensais du film de l'accompagnatrice de Salvadori, Rien à faire. J'étais sociable à l'époque – et surtout naïf et dépourvu de duplicité, d'hypocrisie, des codes du milieu – et cette brève appréciation grande gueule était confiée à un petit nombre de collègues qui parlaient des films qu'ils avaient vu, entre deux bouchées de sardines et coups de rouge. Rien à faire n'avait rien à dire sur les chômeurs dont la cinéaste avait fait ses personnages principaux, mous et convenus. Je n'ai pas dû en dire bien plus, tellement il y avait peu à en dire. Mais, à mon retour à Paris, je recevais un coup de fil assassin du producteur du film, un type que j'aimais bien, rencontré peu avant pour un entretien. Il avait appris, par la bouche, sale, du critique dit de gauche, ma sortie maladroite sur Rien à faire. Je tentais de le rassurer : je n'avais pas publiquement démoli la grande œuvre de sa protégée, n'écrirais rien sur son pensum, mais il ne voulait rien entendre, si ce n'est mon éloge funèbre. Malgré mon soutien militant au cinéma d'auteur indépendant, je n'étais qu'un social-traître pas même digne d'un procès de Moscou.Mais tout cela appartient au passé. L'anarcho-dépressif corse était de retour et il fallait fêter ça ! Nous nous dirigions vers la sortie où le fils de nos amis les attendait pour les ramener en voiture et ainsi épargner à G. l'ascension de notre rue. Mais il était dit que notre soirée, à l'image du film et du personnage joliment joué par Adèle Haenel – convaincante enfin – vacillerait entre cauchemar et rigolade. Le père de la fille de Camille était à cinq minutes de chez nous – encore un qui souhaite ma mort depuis belle lurette... Pour je ne sais quelle obscure histoire, il n'avait pas ses clés et proposait de s'imposer à la maison pour récupérer le double que possède ma belle-fille. Camille tentait d'expliquer que leur progéniture n'était pas à la maison, mais fut immédiatement chargée, c'était un ordre et il n'avait plus de batterie, de savoir où avait lieu cette fête des morts en carton. Jointe par sa mère, l'adolescente ignorait l'adresse de la petite sauterie et balançait soudain une rue de la Liberté... à Enghien-les-Bains ! Etait-ce une ruse de jeune fille d'aujourd'hui pour tenter de dissuader un père insupportablement intrusif, et qui venait déjà de se farcir une heure de transports, de débarquer au coeur de la fête ? Toujours est-il que nous allâmes, entre rire et colère, promener le chien loin de la maison, des fois que l'autre hurluberlu, qui n'a pas besoin de déguisement pour semer la terreur, sonne chez nous, non pas pour demander des bonbons mais l'hospitalité...C'est cette soirée intense que j'ai bêtement voulu revivre hier. J'avais parlé du film à ma fille, et à ma soeur, leur laissant entendre que je les accompagnerais volontiers si elles se décidaient à aller le voir. La fille de Camille s'inscrivait au programme. Et sa mère aussi. Bien entendu, nous espérions ne pas avoir cette fois-ci de nouvelles de l'agité du bocal et du portable. Mais c'est à G. que je pensais qui, depuis son passage par l'hosto, un ressort placé au coeur de l'artère bouchée, cause de ses souffrances, s'était enfermé chez lui, avait coupé son téléphone, refusait les visites et croupissait au fond de son lit, malgré le sourire désormais affiché de son cardiologue. Il pouvait reprendre ses promenades, lui avait-il assuré, et surtout activité préférée, le vélo. Mais avant d'être un sportif de haut niveau, ne fumant pas et ne buvant que modérément, G. était avant tout médecin et guère optimiste. Il avait vu ses examens et se souvenait de ses hommes rafistolés de la sorte et qu'il recevait il y a peu encore dans son cabinet.
Bien évidemment, les soirées rares ne se reproduisent que par hasard. Et rarement dans un délai aussi bref. Et puis, rien ne vaut une salle pleine pour mieux apprécier une comédie. Une semaine après la sortie du film, le soufflet semblait retombé. Nous étions hier à peine une vingtaine. Lorsque soudain, nous vîmes débarquer un groupe d'adolescents que je pensais mal aiguillé par les ouvreurs avant de remarquer un ou deux adultes les encadrant et tentant d'instaurer un tant soit peu de discipline chez ces autres agités du mobile apparent. Un type s'installait même devant moi, caméra au poing. Les gamins allaient-ils être filmés pendant la séance ? C'était quoi, ce bazar ? Le film est heureusement plutôt solidement réalisé et j'entrais sans difficulté, bien que le coeur un peu triste, dans cet univers cabossé et déjanté. Je sentais ma fille à mes côtés, et ma soeur pas loin, réagir favorablement. Montrer à des proches un film – ou un livre – que l'on a aimé et ne pas trouver chez eux de répondant est ce qui me terrifie le plus, et que je fuis allègrement. J'avais peur des scènes répétitives, des gags les plus périlleux, mais je me réjouissais vite de les savourer de nouveau, comme je redécouvrais l'incroyable présence des comédiens qui, sur ce film, ne fonctionnaient plus en duo mais en trio, voire en quatuor si l'on compte le mort. J'étais fort heureusement un peu éloigné des gamins que je sentais happés par d'autres écrans s'allumant sans cesse dans les allées.
La porte battante abattue, j'apercevais, tapi dans un coin, le type à la caméra qui attendait les ados. Fuir ce lieu. Vite. Nous croisâmes un autre groupe de collégiens, prêt à prendre la relève du premier et, dans le hall, devant la bibliothèque Bouq'Lib, dans laquelle, avant la séance, j'avais dégoté un Fajardie inédit édité par Néo, je tombais sur un type à bonnet, l'air un peu navré d'être là, et qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'un des comédiens du film. Je fis quelques pas vers lui, peu rassuré par ma myopie, et aussi supris et gêné que lui, baragouinait deux trois compliments sur le film et sa propre prestation qui m'avait beaucoup amusé et touché. Je lui avais à peine tourné le dos qu'il me rappelait, me demandant si je sortais de la salle et si des ados y étaient présents, une rencontre filmée devant avoir lieu sur le champ de bataille. Pauvre Bonnard – c'est son patronyme –, s'il savait ce que ses futurs interlocuteurs avaient pensé du film, propos navrants que me rapportaient alors ma belle-fille... Fuir, vous dis-je, fuir !
vendredi 9 novembre 2018
Liberté conditionnelle
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Humm... Moi j'ai trouvé ce film trop écrit, avec des situations très forcées... J'ai pas cru en grand chose... Je vois bien les intentions... Mais bon... Avoue qu'il a un peu perdu sa grâce le Corse dépressif...
RépondreSupprimerMais non, cher Pierre, justement, tu n'as rien compris à ce texte ! Ni au film ! Ou c'est que tu l'as vu dans une salle vide...
SupprimerBien sûr... C'que tu peux être parisien parfois !
RépondreSupprimerCertes, né à Paris, mais Montreuillois avant tout, monsieur. Montreuillois depuis l'âge de 3 mois, monsieur !
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