Mercredi 25 octobre (1978)
Quelle désolation m'atteint lorsqu'il m'arrive de voir des écrivains venir faire les beaux sous les spots de la diva des temps modernes, la télévision ! D'accord pour se vendre et pour s'abaisser à jacter, eux les hommes de l'écrit ! J'aime que l'on reste à hauteur de son art : à l'écrivain, la plume donc, et elle seule, sans aucune considération pour le goût dominant de l'époque, le spectacle. Plus grave sur ce néfaste plateau d'Apostrophes : c'est la confusion entre tous les livres, mis sur le même plan, et bientôt tous calibrés pour cette émission. Comment l'écrivain qui cautionne ça, parce que c'est lucratif, ne voit-il pas qu'il signe pour la déchéance et le malheur de la littérature...
Vendredi 26 septembre (1980)
Je consulte la présentation de la rentrée littéraire. Chaque année, c'est l'envie de s'exclamer : tiens, j'ai déjà vu cela quelque part, c'est-à-dire ces commentaires où il est question d'écriture inimitable, de petite musique, d'économie de moyens, et de ces auteurs d'avance géniaux, comme si ceux-ci reprenaient, à la manière des savants, les travaux de leurs glorieux aînés pour les achever, définitivement et en apothéose bien sûr, et mettaient un point final à l'universalité et à la plénitude de leur oeuvre en donnant péremptoirement, mais au goût du jour bien sûr, une Comédie humaine mieux écrite, du Proust moins fatigant à lire, ou encore une Madame Bovary sexuellement moins coincée et juriquement émancipée. Comme ces piles de chefs-d'ouvre risquent de me faire honte, je m'abstiens (...)
Dimanche 19 octobre (1980)
Quans je lis du Proust ou du Baudelaire par exemple, souvent je suis anéanti, consterné par l'extravagance de ma prétention, et je me dis que je devrais lire les auteurs de second rang. Mais je me reprends et me persuade qu'il ne faut surtout pas éviter la fréquentation des grandes oeuvres, même si on encourt le découragement. Je crois que seul le voisinage des illustres, et non celui de ceux qui vous font dire J'en fais autant, peut donner l'envie, le goût, la force et la foi qu'il convient pour écrire. Donc, contrairement à ce que l'on m'a enseigné vis-à-vis de la société, il faut là regarder au-dessus de soi.
Lundi 21 septembre (1981)
Je regardais l'autre soir à la télévision le plateau hebdomadaire. On se penchait sur la rentrée littéraire, sur sept des deux cent romans lancés dans la course aux prix, comme on dit dans les écuries. Ce sont des histoires bien ficelées, du cousu main. Quant au style, qui devrait passer en premier, on en parle à la fin, c'est-à-dire que pour chaque livre, on nous lit un extrait de dix lignes qui devraient nous appâter. Ils me stupéfient, ces écrivains qui peuvent tenir le crachoir durant vingt minutes de suite ! et pour faire leur réclame ! Cela doit ressortir à mon préjugé contre le ministère de la parole.
Mercredi 22 avril (1981)
Vu le spectacle que Léo Ferré a donné à Besançon. C'était la première fois que je le voyais sur scène. J'étais plus qu'ému. Ses paroles et musiques exercent sur moi une fascination certaine. Je leur dois beaucoup dans mes jours de dérive : Je mets Il n'y a plus rien, ou Et Basta !, ou Psaume 151, et je suis ailleurs, et comme invincible.
André Blanchard, Un début loin de la vie,
Le Dilettante, à paraître le 14 mars 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire