samedi 2 août 2025

Refus du poème

Přemysl Koblic

 

 

Les filles du chant sont venues:
– « Veux-tu de nous ? Nous sommes nues,
nos lèvres sentent la lavande »
 
– Je songe aux ravins de Finlande
où dorment des soldats de gel... 
Les vierges de sel du poème
m'ont dit : – « Il est temps qu'on nous aime !
Nous sommes nues sous la peau. »

Je songe aux navires sous l'eau
noyés derrière les vitrines…

Les molles putains de mon songe
me crient : – « Lâche pied et plonge
que les poissons sont frais et muets ! »  
– Je songe aux forçats d'Allemagne :
ils sont maigres sous le fouet... 
Les douces mères du sommeil
me choient : « Couche-toi ! Les orteils
dressés vers la pointe du somme. 
La belle au bois qui dort dans 1'homme
ne se nourrit que de baisers… » 
– Je songe aux énormes brasiers
qui brûlent autour de la terre... 
La vieille édentée de la mort
m'a dit : – « Chaque cheval a son mors.
Ton lot sur terre est la mort lente.
Que ça te déplaise ou non, chante !
Nul être n'a droit au merci...
A quoi penses-tu, ombre vague ? » 
– O très chère, je songe à Prague !
Je n'entends pas, je n'entends plus
les prières de ses synagogues...

 

Benjamin Fondane, 
in Le Mal des fantômes, Verdier poche, 2025

 





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