Pierre Jahan |
Avant de retrouver sa maison de Bordeaux, Raymond Guérin s'est donc réfugié à Périgueux, ville où il ne connaît personne, et où il assiste à la Libération, puis à l'épuration. Rapidement, la joie laissera la place à la désillusion...
Nous avons fait notre première sortie en ville. Une animation extraordinaire. Que de gens se sont enrôlés une fois la ville libérée ! Ces engagements de dernière heure ont quelque chose d’un peu gênant. Sans doute, cela est très heureux pour la Résistance dont ces milliers de recrues supplémentaires accroissent les forces. Mais on se demande si ces engagements sont bien désintéressés. Tous ces hommes, hier encore civils et vaquant à leurs affaires, il a suffi d’une vareuse, d’un brassard, d’une mitraillette, pour qu’on ne puisse plus les distinguer de ceux qui se battent obscurément depuis des mois. Or, on comprend bien ce qui a pu se passer dans l’esprit de ces Périgourdins. Ils songent à ce qui se passera ensuite, à l’après-guerre. Décemment, ils ne peuvent rester dans leur boutique, dans leur échoppe, dans leur bureau, quand la France entière se soulève. Ils ont peur qu’on leur fasse honte, voire qu’on leur reproche plus tard leur inertie et qu’ils en soient réduits à affronter, une fois la paix revenue, les regards de réprobation muette de la population. Alors, on y va. Pour faire comme tout le monde. Et l’on n’est pas le dernier à faire du zèle. Bientôt on pourra croire que ce sont eux qui ont libéré Périgueux.
Allons, les hommes sont les hommes. Il est prouvé une fois de plus qu’ils aiment sinon l’uniforme (il s'agit là de Français), jouer au soldat. Avoir un insigne, une arme, comme, enfants, ils s’exaltaient de leur fusil de bois, d’un ruban, et les voilà métamorphosés. Jouer à la petite guerre, se donner une importance, échapper à la tutelle conjugale et familiale, se sentir enfin respectés, admirés, voir les femmes pendues à leur cou, leur jeter des fleurs, bomber le torse, se livrer à cette jouissance double qu’est pour eux à la fois obéir et commander, aller, venir, avoir de bons prétextes de ne pas rentrer dîner à l’heure, de ne pas coucher à la maison, d’être entre eux, à bavarder, à boire, à agir, sans que leurs femmes aient à y mettre le nez, c’est bien là qu’ils se retrouvent eux-mêmes. On ne peut pas dire que ce soit sympathique ou antipathique. C’est comme ça ! C’est dans leur nature. On n’y peut rien. Demain, ils rentreront tranquillement chez eux. Mais on a bien l’impression que, de temps en temps, ils ont besoin de ça.
Raymond Guérin, Retour de Barbarie, ed. Finitude
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