André Kertész |
– C'est la bande-annonce de ce qui nous attend cet été…
– Tu es sûr que c'était un moustique ?
– Sûr et certain. Comme on l'est lorsque l'on dort.
– Tu as été piqué ?
– Non, je pense qu'il est passé en éclaireur.
– Ça ne t'a pas empêché de dormir, je t'ai entendu ronfler...
– J'ai eu chaud.
– Tu as cru y passer ?
– Non, réellement…
– Comme lorsqu'on rêve ?
– Justement, j'ai fait un drôle de rêve : Eddy Mitchell était mort.
– Quoi ?
– Eddy Mitchell.
– Je pensais qu'il était déjà mort...
– Ne parle pas de malheur.
– Tu aimes Eddy Mitchell, toi ?
– Je ne sais pas. Un peu. Disons qu'il m'est familier. Tu vois, la mort de Johnny m'a laissé totalement indifférent, mais celle de tonton Eddy me chagrinerait, je pense... Je l'ai beaucoup écouté à une certaine époque.
– Tu étais triste ?
– A cette époque ?
– Dans ton rêve.
– Certainement. Bouleversé, dirais-je – si on utilisait dans les rêves le même vocabulaire frelaté que dans notre pauvre réel…
– C'était quelle époque ?
– Dans le rêve ?
– Celle où tu écoutais Eddy Mitchell.
– L'adolescence. J'étais baigné de variétés, de chansons populaires, comme disait l'autre. Avec les radios, qu'on nommait périphériques, que mes parents écoutaient, la télé...
– La Dernière séance.
– Oui. Mais ça, c'est venu après. Je ne ratais aucune diffusion. Ce qui plaisait tant à un pauvre type comme moi, qui n'avait aucune culture, c'était la salle de cinéma, le dessin animé de Tex Avery, les anciennes pubs et la double programmation. On regardait ça en famille... Sans parler évidemment de la présentation des films, un mot sur le réalisateur Budd Boetticher ou John Sturges, tout cela avec le ton de tonton Eddy, son humour...
– C'est drôle, il ne m'a jamais beaucoup intéressée. La seule chanson dont je me souviens, c'est « La Fille aux yeux couleur menthe à l'eau ».
– Je crois que le titre était plus court, mais oui, c'est une belle chanson. Dont je n'ai saisi les paroles que bien plus tard. Mais j'aimais ce type avant les années 80. Avec des chansons comme « Le Parking maudit ».
– Il avait le sens des titres !
– Je te sens moqueuse.
– Avoue que ce n'est pas commun, une chanson sur un parking.
– C'est surtout une chanson sur des contractuelles.
– De mieux en mieux...
– Des filles pas très jolies qui sont contractuelles le jour. Mais gagnent leur vie la nuit, devenant belles dans le noir.
– Sur ce fameux parking ?
– Tu as tout compris.
– Ce n'est pas possible. Là, c'est toi qui te moques !
– Pas du tout. Et ce n'est pas fini. Tu ne connais pas le père Moine...
– Le père Moine ?
– Tonton Eddy, alias Claude Moine.
– C'est son vrai nom ?
– Exact. Et tiens-toi bien : le narrateur de cette chanson est un flic.
– Quoi ?!
– Je sais je n'ai pas choisi, dit-il en se présentant. Il est chargé de l'enquête sur ce parking maudit. Et arrive sur les lieux un peu après minuit. Et il voit et entend...
– Quoi donc ?
– Des choses pas très jolies... Il découvre que ces prostituées sont contractuelles le jour et décide de fermer les yeux, de fuir... Il ne sera jamais commissaire. Tout cela sur un rythme endiablé, à la Jerry Lee Lewis, certainement une adaptation d'un rock américain...
– Comment as-tu découvert cette chanson ?
– Au collège, en classe de 4e ou de 3e, je ne sais plus. Mais ce n'était pas à la radio, ou à la télé. J'avais un copain doté d'une chaîne HIFI et de nombreux vinyles. Nous étions une petite bande, trois ou quatre, à être régulièrement invités chez Jean-François. Nous écoutions religieusement le 33 tour qu'il voulait bien nous passer. Il avait des goûts très éclectiques dans la variété : ça allait de Queen à Village People en passant par Supertramp...
– ...Très gay friendly, vos réunions...
– Ce terme n'était pas en vogue à cette époque, tu t'en doutes. J'étais très naïf. Et quand j'ai appris par un gars de la bande que les Village People étaient un groupe gay, puis la même chose avec Freddy Mercury...
– Tu t'es posé des questions...
– Vaguement. Mais je ne me faisais pas draguer par des mecs à cet âge-là.
– Ou alors, ça t'a échappé.
– Toujours est-il que j'ai beaucoup écouté cet album qui, si je m'en souviens bien, s'appelait « Après minuit », en référence à la chanson de JJ Cale, dont Claude Moine signait une belle adaptation. Il y avait aussi une chanson sur le chômage, « Il ne rentre pas ce soir ». Un blues sur un barman. Et si je ne dis pas de bêtise, une reprise de Jonasz, « Du blues, du blues, du blues » – Jonasz que j'écouterai beaucoup quelques années plus tard avec ma première copine...
– Parle-moi de copains, pas de copines. Il est devenu quoi, ce Jean-François ?
– Aucune idée. J'ai tanné ma mère pour qu'elle m'achète une chaîne HIFI. Et elle s'est saigné à blanc en économisant chaque sou pour nous offrir ça à noël. L'année suivante, je rencontrais Pascal qui m'initiait au cinéma, et à la littérature, puis les filles sont arrivées, et j'ai cessé d'écouter Eddy Mitchell...
– Je suis passée à côté de tout ça...
– Le vinyle, il me semble, doit encore être chez ma mère. Je vais le récupérer et je te le ferai écouter.
– Rien ne presse, je t'assure. L'urgence, c'est de trouver une solution pour ne pas se faire bouffer par les moustiques, comme l'année dernière et passer des nuits sans sommeil...
– J'ai compris. Je vais faire une recherche, voir si Eddy Mitchell a fait une chanson sur les moustiquaires.
C'est malin, cher inconsolable, on a eu un peu la trouille au titre du billet. Et oui, on concède une affection coupable pour le Schmoll pour toutes les raisons énoncées ci-dessus plus "Société anonyme".
RépondreSupprimerOui, Société anonyme, A crédit et en stéréo, etc., je m'étais lancé dans une énumération interminable de chansons attestant le talent de parolier subversif du Schmoll, mais le dialogue était déjà interminable. Les femmes, on sait ce que c'est, elles nous font parler plus qu'à notre tour… Un abrazo, Julio !
SupprimerMoi aussi, en lisant ton titre j'ai cru qu'il avait avalé son bulletin de naissance. J'aime bien son côté un peu rochon, le type qui n'en fait pas trop contrairement à Dutronc qui,aujourd'hui, fait un peu trop son Dutronc.
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