mercredi 8 mai 2024

Lettre d'un naufragé

Sune Stigsjöö


 

A 26 ans, Stig Dagerman désespère, considère qu'il a perdu sa magie. Il ne croit plus à son talent littéraire, encore moins journalistique. Ecrire le dégoûte et il peine à terminer son roman, le dernier, Ennuis de noce. Dans une lettre adressée en octobre 1949 à son ami, soutien et éditeur Ragnar Svanström, Dagerman évoque le désarroi qui va le conduire au silence, puis à la mort.

(…) Si jeune et déjà si naufragé – c'est une attitude ridicule, si c'est une attitude. Mais je suis si radicalement épuisé et je ne me défais pas du sentiment que quelque chose est perdu. Il me paraît incroyable d'avoir, il n'y a pas si longtemps, été capable de formuler une phrase originale, d'assembler des mots possédant un certain rayonnement. Je suis jaloux de celui que j'étais jadis. Maintenant chaque page me fait l'impression d'une épreuve d'imprimerie, d'une collection de subordonnées sans importance. Et, s'il m'arrive de croire que j'ai quelque chose à dire, cela se fane dès que je le mets sur le papier. Si c'est passager– pourquoi est‑ce que cela dure aussi longtemps? Et si ce ne l'est pas- pourquoi alors continuer à faire semblant de croire qu'il y a de l'espoir? Je n'ai plus ressenti la joie d'écrire depuis Où est mon chandail islandais ? Cette année stupide passée en France a peut‑être eu de bien fâcheuses conséquences (…) Où est ce chemin que je cherche partout ? Des pays étrangers, un nouvel amour, un dieu ? (…)

 

Stig Dagerman, Lettres choisies,
trad. Olivier Gouchet, Actes sud, 2024



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