Payram |
— Désormais, tous nos objets électroniques pourront être, à notre insu, activés à distance par nos amis de la police et du ministère de l'intérieur…
— Je ne te crois pas…
— Je t'en avais déjà parlé. C'est aujourd'hui voté. Tout comme la reconnaissance faciale généralisée grâce aux prochains JO de Paris. Sans oublier l'utilisation des drones pour la surveillance extérieure et intérieure. Ou le projet de mise sur écoute des journalistes.
— Alors, tout passe ? Comme ça ? Sans que ça ne choque personne ?
— A peine une notule égarée au bas d'une page de canard, une pétition étouffée… Il y a longtemps que nous avons consenti à ne plus avoir de vie privée. De plus, c'est confirmé, toute tentative de chiffrement de nos communications sera assimilée à un acte de terrorisme.
— Comme les militants écolo ?
— Exact. Après l'éco-terrorisme, voici le techno-terrorisme.
— Et tu vas passer tout l'apéro sur ton téléphone ?
— C'est incroyable…
— Le temps que tu lui consacres ?
— Oui et non.
— Depuis que tu as changé de modèle et de forfait, avec tous tes gigas, tu n'es plus le même…
— Je découvre des zones dont je n'avais pas idée…
— …Et te voilà, tel un ado accro…
— …Détrompe-toi. Je suis effrayé.
— Alors laisse tomber et ressers-nous un verre.
— Jérôme m'a installé ce bazar tout à l'heure et je dois le désinstaller ce soir…
— Qu'est-ce que c'est ?
— Une appli, pas encore commercialisée. On y apprend des tas de choses.
— Quel genre de choses ?
— De l'ordre de notre intimité.
— L'ordre ?
— Oui, tout est en ordre. Et sous surveillance.
— Tu me fais peur.
— C'est bien ce que je dis.
— Par exemple ?
— Quoi, Par exemple ?
— Qu'est-ce que tu découvres avec cette appli ?
— Regarde. J'ai rentré nos noms et toute notre vie défile.
— Quelle horreur !
— Des choses que j'avais complètement oubliées. Que personne ne connaît, à part moi. Pareil pour toi…
— Montre ! …Efface ça, immédiatement !
— Tu en as honte ?
— Non, mais, efface !
— C'est impossible, ma chérie. Ce sont des données. Nos vies sont transformées en données. Ce n'est pas nouveau. Ce qui est encore plus flippant, c'est l'avenir.
— L'avenir a toujours été flippant, comme tu dis.
— Oui, mais il l'est d'autant plus qu'il est désormais écrit. Avec des dates précises.
— Notre avenir ?
— Oui. Selon l'appli, dans tout juste deux ans, nous serons séparés.
— J'en étais sûre !
— Ah bon ?
— Oui, je suis trop vieille pour toi désormais, et ça ne va pas s'arranger.
— Attends…
— Elle aura quel âge ?
— Qui ?
— Celle par qui tu me remplaceras.
— Tu divagues…
— Réponds-moi. Cette appli a l'air tellement précise, elle doit pouvoir nous le dire.
— Non, je me suis trompé. C'est affreux.
— Tu te voyais déjà au bras d'une pétasse de 25 ans mais là…
— …Non. Nous serons en effet séparés mais par la mort.
— Quoi ?!
— Il ne me reste que deux ans de vie.
— Ce n'est pas possible ! C'est n'importe quoi, cette appli. Tes dernières analyses étaient parfaites, selon ton médecin.
— Les cimetières sont remplis de personnes dont les dernières analyses étaient parfaites…
— Oui, mais pas toi, ce n'est pas possible…
— L'intelligence artificielle ne peut pas se tromper. Même si cette appli est encore en développement. Dans un peu moins de deux ans, je ne serai plus là.
— Mais c'est insupportable.
— J'ai toujours été persuadé de mourir au même âge que mon père, mais dans deux ans, ça fera trois ans de moins…
— Je ne suis pas certaine d'avoir saisi, mais je veux bien un autre verre.
— Pas mal, ce petit rouge, n'est-ce pas ?
— Qu'est-ce que c'est ?
— Un simple vin de France. Ce n'est pas la première fois que nous en buvons…
— Je sens que ce ne sera pas la dernière, après ce que tu m'as annoncé… A quoi tu penses ?
— A comment occuper ces deux prochaines années.
— Je te vois venir.
— Ah oui ?
— Sex and drugs and rock and roll !
— Tu n'y es pas. Puisque je n'ai rien à perdre, il est temps de me lancer dans le terrorisme ! Simplement, j'hésite encore entre le techno-terrorisme, l'éco-terrorisme…
— Et l'alcoolo-terrorisme !
— Je me laisse un temps de réflexion !
— Chouette, mon amour. J'ai toujours rêvé d'être la compagne d'un héros ! Tu peux compter sur mon soutien, le ravitaillement, le repos du guerrier, tout ça.
— Enfin de sages paroles !
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