dimanche 5 mars 2023

Un peu de chaleur humaine


Robert Frank


Ah, Coltrane, ce son... Vous connaissez, bien sûr...  Mais non!, qu'est-ce que je raconte?, Davis, Miles Davis, trompette et pas saxo, c'est Miles Davis, rien à voir. Enfin, pas vraiment. L'un a joué pour l'autre. Allez savoir dans quel ordre, je veux dire qui pour qui... Vous voyez? Ah la musique, je n'en écoute plus vraiment aujourd'hui. Dire qu'avant... J'ai eu mes périodes. Vers 20ans, je n'écoutais que du jazz. Puis, un peu après, j'ai eu ma période blues, plus roots, vous voyez. Et je ne sais pourquoi, un désir de pureté, quelque chose dans cet esprit, vers 30ans, je suis tombé dans le classique. Enfin, surtout le baroque, Bach, le dieu. Enfin, Dieu doit beaucoup à Bach comme disait Nietzsche, je crois. Non lui, il a dit que dieu était mort, peu importe, ce qui importe, c'est que c'est vrai... Ah, la musique… Le rock, la pop, ne m'ont jamais beaucoup intéressé. Même si c'est ancré dans ma jeunesse. Je ne sais pas. Dès que j'entends une guitare électrique, mes poils se hérisssent. Vous comprenez? Je ne supporte pas. Maintenant, c'est fini tout ça. Je ne pouvais pas vivre sans musique et aujourd'hui, finito, terminato. Nous sommes tombés dans un autre monde, plus lisse, liquide même, plus flou. Vous avez remarqué?, aujourd'hui, on vous vend des ordinateurs qui ne sont plus équipés de lecteur CD ou DVD— le cinéma, c'est pareil, la chute est moins brutale mais elle est irrémédiable... La dématérialisation. On nous pousse vers les plateformes, les formes plates. Vous avez remarqué ? Oui, la musique a beaucoup compté pour moi. Je n'y ai jamais compris grand-chose, cela dit. Mais je ne pouvais pas m'en passer. Les femmes, c'est pareil. J'en ai connu quelques unes. Et je n'y comprenais rien, je peux l'avouer. C'est pas faute d'avoir essayé. J'ai goûté à tout. Ça, on ne peut pas dire le contraire... Les belles, les moches, des jeunes, des sur le retour, les vamps comme on disait à une époque, les femmes fatales si vous préférez, les étrangères, ah, les Nordiques, les Africaines aussi, je voyageais beaucoup grâce à mon boulot, les filles de l'est, froides mais excitantes comme peu savent l'être, les Espagnoles, fougueuses, les Italiennes, sensuelles et pulpeuses, les femmes très classe, des zonardes, des punkettes, des toxicos aussi parfois, des alcoolos, j'en passe... J'étais assez beau je crois, rien à voir avec aujourd'hui, tel que vous me voyez là, à plus de 60 balais, c'est difficile à imaginer, le succès que j'avais, je n'ai jamais été marié, ou même à la colle comme on disait de mon temps, mon secret je crois était d'être ouvert, disponible, en mouvement permanent... Vous prenez quoi? Vous m'êtes sympathique, je vous invite. Bientôt, boire un coup, ce sera réservé à une élite, profitons tant que c'est possible... Ah, les femmes, c'est vrai, je ne les ai jamais comprises. Trop tard : aujourd'hui, tout déglingué de partout, ça tombe, ça pend, c'est plus pareil. J'ai donné. Les femmes ne m'intéressent plus. Et elles ne s'intéressent plus à moi. Evidemment, ça me manque un peu, me réveiller au côté d'un corps étranger, un peu de chaleur humaine… Vous voyez ? Aujourd'hui, tous ces gens fixés à leurs écrans, dans le métro, dans les cafés même, je ne vois que des zombis autour de moi… Un peu de simplicité, de disponibilité pour l'autre, c'est trop demander? J'en suis à me demander, rapprochez-vous, je vais pas le gueuler devant tout le monde, les hommes, pourquoi pas après tout? Histoire de ne pas mourir idiot. Faut rester ouvert, comme je l'ai toujours fait. Vivre avec son temps, sinon, c'est la mort. Mais pas une grande folle, ça, je pourrais pas, non, un mec, un vrai, genre viril, comme moi, comme vous... Vous voyez ?… Vous n'êtes pas homophobe, dites? Qu'est-ce qu'il y a? Comment ça, vous avez rendez-vous? Là, tout de suite? Non, mais je disais ça comme ça, je ne pensais pas spécialement à vous, attendez, quoi!. Allez, oui, c'est ça, casse-toi connard! Et surtout, pas même un merci, pour le verre... Pédale, va! Décidément, les hommes non plus, je ne les comprends pas...





1 commentaire:

  1. Je m'étais juré de finir ma vie avec Billie Holiday - il ne faut jamais jurer de rien -, et voilà que ma vie se termine, aussi sûrement que possible, avec Billie Holiday.

    (Teddy Wilson n'est jamais très loin, et Lester Young, bien entendu, surtout ce dernier quand il s'agit de terminer sa vie - avec Billie Holiday.)

    Belle soiré à vous.

    La nuit sera parfaite.

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