Imogen Cunningham |
― Je ne sais pas quoi en penser. Toi, tu as trouvé ça bien, mon chéri ?
― C'est un film bien ficelé. Les acteurs sont bons, tous, sans exception… Tu n'es pas de cet avis, apparemment…
― Lorsqu'un film se termine, j'ai envie de me sentir bien, heureuse d'être allée au cinéma.
― Ce qui n'est pas le cas…
― Pas vraiment. Dans le film, comme dans la réalité, cette histoire d'agression fait diversion. Areva, ou EDF je ne sais plus, a passé des accords avec ce groupe chinois, qui a bénéficié du savoir-faire mis en place par Areva et se permet aujourd'hui de vendre des centrales nucléaires bas-de-gamme partout dans le monde, y compris en France.
― Tu estimes que ça fait diversion pour qui ?
― Du point de vue cinématographique, du scénario. On suit le destin de cette femme et, comme elle le dit quelques années plus tard, dans la dernière séquence du film, tout s'est passé comme elle le prédisait : les salariés ont été licenciés et il ne reste plus qu'un nom, un visage, le sien. On a oublié tous les gens qu'elle défendait, ils ont disparu, comme les ouvriers hongrois du début du film.
― Mais tout cela est clair, non ?
― Le film est concentré sur un personnage, une actrice, une vedette, Huppert, et sa « performance incroyable » en syndicaliste – pas CGT quand même...
― C'est du cinéma. Un film grand public. Un thriller. Le film doit prendre cette forme, ne peut exister que comme cela, dans ce genre bien défini, avec la présence et l'appui de ces vedettes. Impossible de financer un tel sujet autrement...
― C'est ce qui me déplait. Comme autrefois, les films d'Yves Boisset qui me déprimaient. Je me souviens du Juge Fayard, j'étais très jeune et je n'avais pas supporté la mort de Dewaere...
― On peut espérer que ce film incite le spectateur à s'intéresser à ce genre de questions, à développer un esprit critique…
― Je te trouve bien optimiste... Souviens-toi du livre sur le nucléaire de ton ami...
― Yannick ?
― Oui, tu m'as dit que c'était une enquête formidable et personne n'en a parlé...
― Ce n'est pas tout à fait la même chose, mais c'est vrai, il ne pouvait compter sur Isabelle Huppert pour la promo...
― Tous ces rebondissements, les interrogatoires, la garde à vue, les procès... Qui l'a agressée ? Les flics vont-ils la croire ? Cette pression permanente.....
― C'est un thriller. Il faut en accepter les codes.
― Oui, mais je ne peux m'empêcher de ressentir cette frustration. La diversion que produit l'histoire de cette syndicaliste.
― Le cinéma n'est pas subtil, ma chérie. On ne peut entrer dans les détails de l'affaire, l'enquête de la journaliste qui a écrit le bouquin...
― Elle est absente du film, d'ailleurs. Pourquoi ?
― Tu aurais dû poser la question à ton idole, Denis Robert...
― C'est vrai : je préfèrerais avoir cette conversation avec lui...
― C'est gentil…
― Je blague, mon chéri.
― Remarque, c'est idiot : il était là, à côté de nous, nous aurions pu aller boire un coup avec lui et ses potes.
― Tu ne crois pas qu'il a autre chose à faire que discuter avec deux clampins comme nous ?
― Parle pour toi... Dis-toi qu'il fut un temps où j'étais un journaliste redouté, un apprenti Denis Robert, dans mon domaine.
― C'est toi, mon idole !
― N'exagérons rien...
― Et puis, cette comédienne... Encore un film avec Isabelle Huppert !
― Elle n'est pas mal ici. Supportable, disons.
― Mais sur l'écran, elle ne ressemble en rien à celle que l'on a vue présenter le film sur scène. Tu sais que c'est un point important, présent dans tous ses contrats, ces retouches ?
― Autrefois, les actrices hollywoodiennes un peu vieillissantes étaient filmées avec un filtre placé devant l'objectif de la caméra. Aujourd'hui, le filtre est numérique. Et puis, en l'occurrence, elle joue ici un personnage bien plus jeune, dont le mari est interprété par cet acteur formidable mais qui a une vingtaine d'années de moins qu'elle ! Il faut qu'on y croit…
― Oui, mais quand même : pas une ride !
― Le cinéma n'est qu'illusion…
― Justement, je n'éprouve plus aucune illusion devant ce film, ces histoires de pots de vin, la rencontre avec cette femme dont le mari travaillait chez Veolia, qui a subi le même type d'agression quelques années auparavant et dont on n'a jamais non plus élucidé l'affaire... Ces magouilles politico-financières, ça me fatigue, Veolia, EDF, Areva, de quoi être dégoûté...
― Bientôt, un film sur Total peut-être…
― Tu iras sans moi…
― La justice vient de débouter les ONG qui s'opposaient à un nouveau massacre de Total en Afrique.
― Notre président parade en défenseur de la planète, mais c'est l'impunité permanente pour ces groupes qui la détruisent... C'est insupportable !
― La vie d'un Africain a encore moins de valeur que celle d'un Ukrainien…
― Au moins, les Ukrainiens sont accueillis ici ou dans les pays frontaliers…
― Ceux qui peuvent s'exiler, oui. Les autres, on s'en fout…
― Mais non, tous les jours tu as des images terribles de ces pauvres gens…
― Il ne faut pas confondre spectacle et économie. Biden l'a dit : Nous nous battrons jusqu'au dernier Ukrainien, pour nos valeurs !
― La démocratie ?
― La démocratie s'appelle BlackRock.
― C'est cette boîte de gestion d'actifs dont tu m'as parlé un jour ?
― Oui, BlackRock à qui l'humoriste-président-soldat, et fraudeur fiscal de haut-vol – il ne faut pas l'oublier –, héros des escrocs de Bruxelles et des médias, a vendu le pays, bientôt membre de l'UE et de l'OTAN : déréglementation du travail, contrats zéro-heure, syndicats et protections des salariés supprimés, investissements financiers américains et européens, privatisation de tous les secteurs, la reconstruction et le redressement de l'Ukraine est à ce prix. Un modèle ultra-libéral de rêve, à nos portes, comme ils disent… C'est ça, leur guerre, mon amour. Ce fou furieux de Poutine l'avait bien compris…
― Quelle fatigue… Il reste du vin ?
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