jeudi 20 janvier 2022

Comme un désastre

 

Anastasia Samoylova

 

Dans l’art de perdre, il n’est pas dur de passer maître,
tant de choses semblent si pleines d’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.

Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre.
Tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis
le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.

J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,
des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.

Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste
que j'aime) je n'aurai pas menti.
A l'évidence, oui,
dans l'art de perdre il n'est pas trop dur d'être maître
même si il y a là comme (
écris-le !) comme un désastre.

 

Elizabeth Bishop, L'Art de perdre,
in Geography III

trad. Linda Orr et Claude Mouchard
. éd. Circé



1 commentaire:

  1. Bonjour
    Il ne faut pas pleurer parce que cela n’est plus,
    mais il faut sourire parce que cela a été
    Marguerite Yourcenar
    Ps : je pleure malgré tout !

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