mercredi 4 août 2021

Une question d'équilibre

Burt Glinn


J'ai désormais chez moi un mur entier de livres. Pour la première fois. Jusqu'ici, j'avais des étagères ici et là, jamais dans la même pièce, du moins n'était-ce pas une pièce à vivre, comme on dit, et des piles naissaient un peu partout.
Nous avons hérité d'une duchesse brisée, parfaite pour lire ou s'assoupir, mais dans laquelle je ne peux m'installer sans éprouver un sentiment d'écrasement, d'inertie devant ces millions de pages. D'autant que chaque rangée est doublée. Que des cartons remplis d'autres volumes croupissent dans le sous-sol. Je vais devoir installer des tablettes ailleurs, percer, niveler, visser, et de nouveau classer, soupeser, déplacer, faire des choix.
Cet après-midi, effrayé par cette perspective, j'ai pensé à cet ami perdu de vue depuis longtemps. Il lisait rarement et ne possédait pas ou très peu de livres.
Je crois me souvenir qu'il n'achetait jamais de nouveau livre sans avoir revendu celui qu'il venait de terminer. Devant ce mur, j'envie ce «principe de précaution», dirions-nous aujourd'hui. Ne pas s'encombrer, et pas seulement de livres, pouvoir ainsi facilement déménager, foutre le camp du jour au lendemain. Cette idée me séduisait, je l'appréhendais. Avait-elle été gravée en lui par l'histoire de sa famille, en partie rescapée des pogroms et des camps ? Je ne lui en ai jamais parlé. C'était, pour moi qui ai si peu appris de ma famille, une affaire entendue, extrêmement implicite. Une question d'équilibre.
Le soir, je lui ai envoyé un message pour lui dire que j'avais pensé à lui, sans entrer dans les détails. Nous sommes dans le sud, m'a-t-il répondu, passe si tu veux.

 

Charles Brun, le solitaire tempétueux

1 commentaire:

  1. Bonjour
    Je pense que vous pouvez aller le voir
    Vous serez peut-être comptant !
    Pour les livres ne rien faire !
    La désorganisation cela peut être aussi une méthode
    Cordialement

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