Le Temps perdu… Le plus beau, le plus fécond peut-être !
Une même expression désigne le temps que nous avons gaspillé et celui qui s'est immortellement détaché de nous dans le devenir ; cette ambiguïté ne me déplaît pas ; les sots – je suis poli – y trouveront l'occasion d'une méprise de plus.
A première vue, le temps dilapidé pendant notre jeunesse – et même plus tard – paraît sans valeur à côté de l'autre ; avec l'expérience et les années, nous découvrons la fragilité de cette hiérarchie, l'artifice de cette distinction : c'est seulement à l'heure du retour sur soi que le souvenir va conférer ou non sa dignité à ce qui n'est plus. Notre passé devient ce que nous méritons maintenant qu'il ait été, et tant vaut l'homme tant vaut ce qu'il saura faire de ces immatériels décombres.
Un petit jeune homme mondain, futile, obséquieux, perd – semble perdre – sa jeunesse en singeries de salon, en courbettes ; un jour, il renonce à tout cela, s'enferme dans son bunker de liège, se met à l'établi. Et il se transforme en un athlète lunaire, en un marathonien foulant les interminables pistes de la mémoire ; Cabourg acquiert l'éternité de Balbec.
Dieu sait si j'ai perdu mon temps ! Il sait également combien je ne m'en repens guère : tant d'autres affirment sans rire qu'ils furent toujours sérieux et courbés sur la tâche que je leur cède volontiers le pas. En fait, je crois bien qu'ils allaient eux aussi rendre visite aux demoiselles accueillantes et qu'ils flânaient au Luxembourg ; ils l'ont oublié, voilà tout.
André Hardellet, Donnez-moi le temps, Gallimard
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