Lo Kee |
Tu vois, je pense que nous sommes prêts. Sans plus aucun doute. Ces derniers mois, nous avons appris à obéir, à avoir peur des flics, de tout et de tous, à nous taire, ne pas oser protester pour les conditions de vie qui nous sont imposées, rester isolés les uns des autres, être baladés, confinés, conditionnés, nous avons appris à accepter les mensonges, les approximations, les contradictions, les revirements, à dire merci lorsqu'on nous permet de sortir dans la rue une heure de plus..., on nous a rendu dingues, on nous a épuisés, abrutis, j'ai la sensation d'avoir un cerveau en gélatine, je suis molle, dépourvue d'énergie, je n'ai envie de rien, les autres me fatiguent comme jamais... Tu te souviens de mes amis Cédric et Pauline, je t'avais emmené dîner chez eux, dans le 13e, il y a des années, une soirée soupe un dimanche, ils étaient très branchés fooding, tu ne les avais pas beaucoup appréciés je crois, mais tu avais beaucoup bu, je m'en souviens, et tu avais dragué une de leurs copines, bref, ça faisait un moment que je ne les avais pas vus. J'ai fait quelques longueurs dans leur piscine sur le toit de l'immeuble, puis nous avons pris le thé. Je ne me suis jamais sentie aussi mal. En bons sociaux-démocrates, ils analysaient la situation avec une froideur et un cynisme qui m'ont achevée. Ils pensent qu'il faut à tout prix éviter la guerre civile, c'est-à-dire voter dès le premier tour pour Macron, faire barrage comme on dit dans les médias. Mais selon eux, si c'est une victoire in extremis, on aura des émeutes, des soulèvements, peut-être même une révolution. Ils en sont à penser, eux qui ont toujours voté à gauche, que la Marine, si elle arrive au pouvoir, ce n'est pas si grave. Ils préfèrent l'avoir au pouvoir, ou dans un gouvernement de coalition avec le gang de Macron-Attali-LCI, et surtout ne rien faire, attendre que ça passe. Ils craignent davantage un mouvement du genre Gilets jaunes, ou les black-blocs, qu'ils ne nomment pas islamo-gauchistes, simplement parce qu'ils ont encore gardé un semblant de tenue. Ils ont trop à perdre, disent-ils, si le pays est à feu et à sang : leur boulot, leur retraite, leur appartement luxueux avec piscine, leur maison de campagne, leurs bagnoles, leurs voyages, les vacances sous les tropiques, l'école privée des enfants, leur vie de bobos satisfaits et égoïstes, ils appellent en fait à collaborer, à avaler une cuiller à soupe de fascisme au coucher et au lever, au déjeuner et au dîner, ils sont prêts et leurs amis pensent comme eux, même s'ils savent que la situation économique s'aggravera, que socialement, ça ne tiendra plus, ils pensent qu'en acceptant l'extrême-droite qu'ils, comme tous les médias désormais, ne veulent plus nommer ainsi, Marine, c'est pas son père quand même, qu'en se résignant, ils vont pouvoir s'en sortir. Ils m'ont même donné l'exemple de l'Espagne. Ils y sont allés et ils ont compris. S'il n'y avait pas eu, selon eux, la tentative de révolution des anarchistes, jamais une guerre civile ne serait arrivée... Tu te rends compte ? Je ne sais pas si c'est cet après-midi chez eux ou si c'est la pleine lune, mais je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Et toi, comment ça va ?
Voilà ce qui comme toi m'inconsole! Ta publication rejoint celle de Frédérick Houader de cette semaine où il rend hommage à Pirotte.
RépondreSupprimerEt en plus il pleut ce matin.
L'ultralibéralisme, mon cher Luc, se fout de la pluie et du soleil. Et encore moins de la poésie... Dans la course folle qu'il mène contre sa putréfaction, il n'hésite pas à s'allier, comme on le sait, aux régimes les plus abjects. Mais du moment que nous avons l'illusion d'être libres dans un isoloir, les plates formes, le cloud...
SupprimerAnimo !