lundi 17 mai 2021

Il faut oublier tout le monde


 

Mardi 19 février 1956
J'ai tout ce qu'il faut pour souffrir, mais je me console en écrivant des poèmes.

 

Jeudi 24 octobre 1957
Les états d'angoisse empêchent de ressentir la poésie. Je veux parler de l'angoisse que produit l'échec dans nos tentatives de communication avec les autres. On se retrouve suspendue à une attente. Non. Attente, non. Ou peut-être si. On attend l'appel du dehors. Il est seulement possible de vivre s'il y a un bon feu dans la maison du cœur. C'est à l'intérieur de ma poitrine que doit se trouver la demeure de la consolation, je veux dire, de la certitude. Alors seulement, on vit la poésie, qui semble être fâchée avec l'aliénation.
J'ai peur d'échouer par la faute de mon angoisse.
Il faut oublier tout le monde.

 

Vendredi 25 octobre 1957
Il faut oublier tout le monde.

 

Samedi 26 octobre 1957
J'ai écrit un poème. Il n'a aucune importance.
Je suis une énorme blessure. C'est la solitude absolue. Je ne veux pas demander pourquoi.

 

Mercredi 20 novembre 1957
Tristesse et candeur. Envie de pleurer comme un enfant qui vient de naître. Immense tendresse pour moi-même. Envie de me faire toute petite, de m'asseoir dans ma propre main, et de me couvrir de baisers.

 

Mercredi 19 février 1958
La seule chose qui m'importe, c'est de me perfectionner. Première mesure : éviter les vocations trompeuses expansives. Si je devais développer tous mes penchants, il me faudrait vivre des siècles. Considérer que la vocation la plus intime et la plus profonde est la nécessité d'écrire. Reste alors à lui consacrer tous mes efforts. (Ceci est un cahier dédié à l'édification de règles morales, de façons de vivre ; tout, depuis l'extérieur. La seule vérité, c'est mon envie de pleurer, mon avidité de rêve et de mort.)

 

Samedi 22 février 1958
J'ai médité quant à la possibilité de devenir folle. Cela arrivera quand j'arrêterai d'écrire. Quand la littérature ne m'intéressera plus. De toute façon, cela m'est indifférent de devenir folle ou pas, de mourir ou pas. Le monde est horrible, et ma vie n'a, jusqu'à maintenant, aucun sens. (Pourtant, je crois que personne n'aime plus la vie que moi. C'est seulement qu'entre mes rêves et mon action passe un pont insurmontable. Voilà pourquoi je dois me vider de mon sang comme un animal malade, derrière la vie.)

 



2 commentaires:

  1. Bonjour
    Merci
    Je me sens moi seul !
    C’est tout !
    Très cordialement

    RépondreSupprimer
  2. Un bel aperçu du chant général de notre époque.

    RépondreSupprimer