Jaromír Funke |
« D'emblée, mes débuts littéraires ont dû donner l'impression que je me moquais du bourgeois, comme si je ne le prenais pas tout à fait au sérieux. On ne me l'a jamais pardonné. Voilà pourquoi je suis toujours resté un zéro tout rond, un gibier de potence. J'aurais dû ajouter à mes livres un peu d'amour et de tristesse, une pointe de sérieux et d'enthousiasme — un zeste de romantisme aristocratique, aussi, comme Hermann Hesse l'a fait dans Peter Camenzind et dans Knulp. Même mon frère Karl me l'a reproché parfois, de façon affectueusement indirecte.
Oui, je vous le dis franchement : à Berlin, j'aimais surtout traîner dans les bistrots et les cafés-concerts (...) Je me fichais du beau monde. J'étais heureux dans ma misère et je menais la vie d'un danseur insouciant. En ce temps-là, je buvais énormément. De la sorte, je me suis rendu assez impossible et ce fut une sacrée chance que j'aie pu revenir à Bienne chez ma charmante sœur Lisa. Jamais, abec une réputation pareille, je n'aurais osé revenir à Zurich.
(...) Mes premiers poèmes, je les ai composés comme ils ont paru, j'étais commis et j'habitais dans le quartier de Zurichberg, je me gelais, je mourais de faim et je vivais reclus comme un moine. Mais par la suite, j'ai encore écrit d'autres poèmes, surtout à Bienne et à Berne. Oui, même à la clinique de la Waldau, où j'ai fabriqué presque cent poèmes. Mais les journaux allemands n'en voulaient pas. Je trouvais preneur à Prague, dans la Pragor Presse et au Prager Tagblatt, chez Otto Pick et votre ami Max Brod. Parfois, Kurt Wolff imprimait quelques vers dans ses almanachs. » Je lui dis qu'il devait sa célébrité à Prague à Franz Kafka, apparemment, qui était friand de ses impressions berlinoises et de L'institut Benjamenta. Mais Robert fait un signe de dénégation ; il ne connaît guère l'œuvre de Kafka.
Carl Seelig, Promenades avec Robert Walser,
trad. Marion Graf, éd. Zoé