vendredi 4 décembre 2020

Le paradis qui coule




Tu es bien torché après tes dix pintes, le juke-box balance des trucs corrects, il y a de la nana, essentiellement des salopes en minijupes, on voit juste un bout de coton noir qui leur rentre dans la raie du cul, et c'est exactement ce dont tu as besoin, des mecs cools et des putes aux cuisses grandes ouvertes, qui s'étalent mieux que la margarine, et à qui tu demandes de patienter cinq minutes, parce que tu es en train de boire un coup avec tes potes, et que moins chère est la bière, plus tu en descends. Huit heures, neuf heures, la soirée file à toute blinde, c'est la fin de la semaine, tu as deux heures devant toi et la bière est fameuse. Le paradis qui coule, glacé, âcre dans la gorge. Des bulles chimiques, un poison brassé à la hâte pour les locdus qui apprécient. Tous les gars sont chauds, ils racontent des conneries qu'on aura oubliées demain, la musique à fond et tu es obligé de crier, mais c'est le rythme qui compte, le rythme électrique qui fait légèrement vibrer la salle, qui te fait oublier le besoin de réfléchir à ce que tu dis, alors tu dis n'importe quoi, tu parles et tu gueules et tu remues la langue, et plus tu es torché, plus tu te rends compte que les mots qui sortent de ta bouche n'ont rien à voir avec ceux que tu avais en tête. Tu pourrais aussi bien raconter n'importe quoi. On s'en branle. Tu glisses une pièce dans la fente, tu appuies sur un bouton, les pages défilent et tu choisis tes chansons. D'une simplicité mortelle. Un débile pourrait en faire autant. Par contre, c'est dur d'arriver au bar si tu n'es pas à moitié brûlé, vachement dur, mais bon, à présent ça va mieux parce que tu es effectivement bourré, et que tu n'en as rien à faire des manières, alors tu fonces droit devant, tu pousses, tu titubes jusqu'à la serveuses avec ses gros nibards qui font éclater son corsage, sa bouche à pipes peinte et repeinte et son amabilité zéro. Elle sait qu'elle peut se donner des airs d'impératrice, devant tous ces mecs bourrés qui la regardent comme ça, elle adore ça la salope, elle prend son pied, et tu lui en demandes encore deux, ma jolie, toi, là, avec le corsage qui va péter, avec les nénés en obus, en train d'étaler ta marchandise histoire d'exciter les hormones, et si un quelconque connard n'apprécie pas la manière de bousculer tout le monde, il fermera sa gueule de toute façon, parce que tu es rétamé, et surtout parce que tu es accompagné d'une petite bande sympa qui te virerait n'importe quel mec par la vitrine, au moindre regard de travers…

 

 

John King, Football Factory,
trad. Alain Defossé,
rééd. Au Diable Vauvet

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